Catégorie : Matériel

Le traitement des déchets informatiques est-il conforme à la loi ?

Gestionnaire d’un parc informatique dans un laboratoire public de recherche, “MJ” est témoin de la grande gourmandise de son établissement en matériels informatiques et de la durée de vie réduite de ceux-ci. Quand ils deviennent des déchets polluants, ces matériels sont-il traités en conformité avec le code de l’environnement ? Sur cette question MJ a les plus grands doutes. Témoignage.

Un des problèmes écologiques majeurs de notre époque est la question des déchets. Parmi ceux-ci, il y en a une catégorie en expansion toujours continue, ce sont les déchets électroniques (DEEE en terme technique : déchets d’équipements électriques et électroniques).

A titre personnel, mon métier étant administrateur de systèmes informatiques dans un établissement public d’enseignement supérieur et de recherche, j’ai cherché des solutions pour (tenter de) augmenter la durée de vie des équipements informatiques. Ces équipements étant consommateur de ressources, matière et énergie, à la fabrication, puis polluants quand on s’en débarrasse, l’allongement de leur durée d’utilisation est la meilleure chose à faire (1) . En pratique cela passe souvent par l’utilisation de Linux qui offre des distributions très intéressantes (car légères) pour poste client.

Un droit complet et efficace sur le papier

Mais, les ordinateurs finissent tôt ou tard en déchets. Ils sont, ou en tout cas étaient, souvent exportés dans les pays en développement, parfois déguisés en matériels de seconde main (2) (3). L’Europe s’est intéressée à ce problème sous ses différents aspects. D’abord l’UE a ratifié la Convention de Bâle qui interdit l’exportation hors UE des déchets toxiques (4), puis depuis août 2005, une directive oblige les constructeurs à mettre en place des filières de réutilisation/recyclage/élimination.

C’est de ce dernier point que je veux parler ici. La France a inscrit cette obligation des constructeurs informatiques dans son droit national, le dernier décret sur la question datant d’ août 2014 (5). Il indique clairement l’obligation des constructeurs (6), ceux-ci pouvant soit collecter et traiter les DEEE correspondant aux équipements qu’ils ont mis sur le marché, soit en déléguer la gestion à un éco-organisme agréé (7) (8). Quand on regarde cela de plus près, on voit qu’actuellement le seul éco-organisme agréé pour les déchets informatiques professionnels est Ecologic (9).

La loi fait même la distinction entre les équipements encore en état de marche (EEE fonctionnels) et les déchets (DEEE). Mais un ordinateur que les gens estiment devenu trop lent est généralement mis de coté et finit tôt ou tard en benne, mélangé aux vrais DEEE. Il est parfois possible de récupérer des pièces (mémoire, disque dur, etc) mais cela se produit en général de façon informelle.

“La distinction effective entre équipement électronique usager fonctionnel (EEE) et déchet électronique (DEEE) demanderait un volontarisme qui est loin d’exister, et une fois le tout mélangé en benne, il est évidemment trop tard !”

Le cas d’un établissement supérieur de recherche

Concernant la gestion des DEEE, je me suis intéressé de près à la façon dont les choses se passaient dans mon propre établissement.

“Chez nous, tous les déchets sont traités par une entreprise de collecte et traitement d’ordures ménagères, suite à une procédure d’appel d’offres de marché public. Cela concerne aussi nos DEEE, y compris ceux mis sur le marché après 2005 et donc concernés normalement par les lois mentionnés ci-dessus. Cela représente un volume important.”

Et là, je ne comprends pas comment c’est possible ! J’ai creusé la question, lu les textes de loi avec attention, interrogé des spécialistes, et je ne vois toujours pas comment mon établissement pourrait être en conformité avec la loi en confiant directement ses DEEE à une entreprise non habilitée.

Un contact de l’organisme Ecologic m’a bien précisé que pour un établissement, « sa responsabilité va jusqu’à l’élimination et la valorisation finale. Il est donc question de s’assurer que l’ensemble des opérations sont conformes aux exigences réglementaires européennes et notamment sur l’atteinte des taux de dépollution et de valorisation »

On va me dire : oui mais peut-être la société généraliste de collecte et traitement des déchets est-elle en contact avec un éco-organisme ? La vérité est que personne, en tout cas dans mon établissement, n’en sait rien. De toute façon, cela semble incompatible avec les textes.

Plus généralement, je pense qu’il y a loin de la loi DEEE à sa réalisation effective. Quand j’avais pris contact avec les fournisseurs pour connaître la marche à suivre pour les matériels obsolètes, je n’ai d’abord eu que des réponses évasives. J’avais l’impression qu’ils essayaient à tout prix d’éviter de récupérer les vieux matériels.(10)

Ce sujet est certainement intéressant du point de vue journalistique. Il y aurait une enquête sans doute difficile à faire mais je crois que le résultat serait assez surprenant (ou non, si on n’a pas d’illusion sur l’application des lois liées à l’environnement).

Et chez vous ?

Je profite de cette tribune pour vous posez directement la question :

  • Savez-vous ce que deviennent les matériels informatiques jugés obsolètes mais encore fonctionnels dans votre entreprise ou votre administration ?
  • Et les déchets : qui les gèrent ?
  • Avec quelles garanties qu’ils ne finissent pas en décharge à ciel ouvert au Ghana ou au Nigeria ?
  • Est-ce que cela vous rapporte de l’argent (combien par poste ? ) ou est-ce que cela vous coûte ?

 

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Notes :

(1) Voir article du site spécialisé GreenIT :

SEDD 2016 : j’utilise mes équipements le plus longtemps possible

(2) Rapport de l’UNEP sur le trafic mondial des déchets électroniques, mai 2015 : https://www.greenit.fr/2015/05/18/dechets-electroniques-un-trafic-mondial-de-17-milliards-d-euros/

(3) Article batamag, Comment l’Europe fait passer ses déchets informatiques pour des dons « humanitaires » :
http://www.bastamag.net/Comment-l-Europe-fait-passer-ses

(4) Convention de Bâle :
http://www.unep.org/Documents.multilingual/Default.asp?DocumentID=296&ArticleID=4033&l=fr

(5) Décret n° 2014-928 du 19 août 2014 relatif aux déchets d’équipements électriques et électroniques et aux équipements électriques et électroniques usagés :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029387124&categorieLien=id

(6) voici un extrait du décret n° 2014-928 du 19 août 2014, article 5 :

« Les producteurs d’équipements électriques et électroniques professionnels sont tenus d’enlever ou de faire enlever, puis de traiter ou de faire traiter à leurs frais les déchets issus des équipements professionnels qu’ils ont mis sur le marché après le 13 août 2005 ainsi que les déchets issus des équipements professionnels mis sur le marché jusqu’à cette date lorsqu’ils les remplacent par des équipements équivalents ou assurant la même fonction. » ;

(7) Voir décret n° 2014-928 du 19 août 2014, article 4 :

« Pour chaque catégorie et sous-catégorie d’équipements définie à l’article R. 543-172 qu’ils mettent sur le marché, les producteurs doivent pourvoir ou contribuer à la collecte des déchets d’équipements électriques et électroniques ménagers au prorata des équipements qu’ils mettent sur le marché :
« 1° Soit en mettant en place un système individuel de collecte séparée des déchets dans les conditions définies aux articles R. 543-184 et R. 543-185 ;
« 2° Soit en participant à un système collectif de collecte séparée mis en place par un éco-organisme agréé dans les conditions définies aux articles R. 543-189 et R. 543-190 et, le cas échéant, en complétant cette collecte en versant, par l’intermédiaire de cet éco-organisme, une contribution financière à un organisme coordonnateur agréé dans les conditions définies aux articles R. 543-182 et R. 543-183. Cet organisme prend en charge, par convention passée avec les communes ou leurs groupements, les coûts supplémentaires liés à la collecte séparée des déchets d’équipements électriques et électroniques ménagers. » ; ministres chargés de l’environnement et de l’industrie dans les conditions définies à l’article R. 543-197, soit en mettant en place un système individuel et en fournissant une attestation dans les conditions définies à l’article R. 543-197-1

(8) Dans un rapport très détaillé sur la question, Données DEEE 2015 de l’Ademe, la filière est décrite par trois schémas très clairs p.25. Le seul cas permettant à un utilisateurs professionnels de traiter directement avec un opérateurs de traitement concernent les DEEE mis sur le marché avant août 2015 :
http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/registre-eee-donnees-2015-201610-rapport-annuel.pdf

(9) Les trois éco-organismes actuellement agréés sont listés dans cette page, avec les catégories d’équipements pour lesquels ils sont habilités :

DEEE professionnels : trois éco-organismes agréés


Pour la catégorie 3 : Équipements informatiques et de télécommunications des professionnels, seul l’organisme Ecologic est agréé :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2015/12/22/DEVP1528524A/jo

(10) Depuis, des procédures ont été mises en place, et c’est gratuit. A titre d’exemple, pour le constructeur Dell (et supposons que ce soit de même chez HP ou autre), il suffit de stocker les vieux ordinateurs, par exemples sur palettes, jusqu’à atteindre 500kg puis de lancer la procédure en remplissant le formulaire en ligne suivant :
http://www1.euro.dell.com/content/topics/topic.aspx/emea/topics/services/fr/weee_take_back_form
?c=fr&l=fr

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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