Catégorie : Energie

Sobriété énergétique : comment réduire la consommation électrique du numérique ? (4/4)

Dans deux précédents articles, nous avons évoqué :

  1. Le bilan énergétique du numérique ;
  2. Les actions pour réduire son énergie grise.

Dans ce troisième et dernier article, nous nous intéressons à la consommation électrique du numérique en France et aux moyens de la réduire. Cette étape représente 59 % du bilan énergétique du numérique en France.

3% de la consommation d’énergie finale de la France…

Selon la source, le numérique représente entre 40 TWh [1] et 56 TWh [2] de la consommation électrique de la France soit, 8 % à 12 %.

Comme l’électricité n’est qu’une des nombreuses formes d’énergie finale consommée en France, il est important de comparer la consommation électrique du numérique avec la consommation d’énergie finale totale du pays. Cette mise en perspective permet d’évaluer l’efficacité / l’intérêt des mesures de sobriété énergétique appliquées au numérique.

Le consommation électrique du numérique représente ainsi 3 % de la consommation d’énergie finale du pays pour le scénario maximum (56 TWh).

… en croissance de 25 % entre 2015 et 2030

En scénario « business as usual » pré-guerre en Ukraine, la consommation électrique du numérique devait augmenter de 25 % entre 2015 et 2030, soit environ 15 TWh supplémentaires dans le scénario maximum, pour atteindre 15 % de la consommation nationale actuelle de 2018. L’entrée en vigueur de la loi REEN et le nouveau plan de sobriété énergétique français devraient contenir cette prévision de croissance à un niveau bien plus bas.

Hausse importante des réseaux

En France, conformément à ce que nous constatons depuis plusieurs années dans nos bilans énergétiques, l’association négaWatt estime que c’est la consommation électrique des réseaux qui augmentera le plus dans les années à venir, de l’ordre de 10 % par an [2].

C’est tout à fait logique quand on sait que la 4G consomme 23 fois plus d’énergie qu’une connexion Wifi + ADSL, que la 5G consomme plus d’électricité que la 4G, qu’il faudra 2 à 3 fois plus de cellules 5G que 4G, et que des centaines de millions d’objets connectés supplémentaires utiliseront la 4G et la 5G pour communiquer dans les années à venir.

Par ailleurs, des gains importants d’efficience énergétique peuvent encore être réalisés chez les particuliers, notamment au niveau des box qui restent allumés 24 heures sur 24. Tant qu’on n’éteint pas les box la nuit, le potentiel reste d’économie reste important.

Les utilisateurs concentrent la consommation électrique du numérique en France

Contrairement aux idées reçues, les centres informatiques ne sont pas la principale source de consommation électrique du numérique en France. Loin s’en faut ! Les utilisateurs consomment 2 fois plus d’électricité que les centres informatiques [1].

Les deux dernières études portant sur le numérique en France s’accordent sur

  • Une concentration chez les utilisateurs (46 % à 65 % selon l’étude) [1] [2] ;
  • Le reste se répartissant entre les réseaux et les centres informatiques.

Du côté des utilisateurs, la consommation électrique est diffuse dans les nombreux équipements. On peut cependant identifier plusieurs groupes et vecteurs de cette consommation électrique :

  • Les box et décodeurs TV constituent un poste important, non du fait de la quantité de données échangées, mais parce que les box et décodeurs restent allumés en permanence.
  • On note aussi un effet rebond concernant la consommation électrique des TV : si la consommation électrique diminue pour une même diagonale, l’augmentation continue de la diagonale annihile les progrès réalisés en termes d’efficience énergétique.
  • Enfin, l’augmentation du taux d’équipement (15 équipements numérique par français de plus de 15 ans en moyenne en 2020) se traduit mécaniquement par une augmentation de la consommation électrique même si la consommation individuelle de chaque équipement diminue (deuxième effet rebond).

Réseaux et centres informatiques totalisent chacun 25 % du bilan électrique

Il n’y a pas de consensus sur la répartition de la consommation électrique entre les réseaux et les centres informatiques. Tout dépend de l’étude et du modèle utilisé pour évaluer les impacts.

La dernière étude du collectif Green IT considère un poids important du réseau (32 % de la consommation électrique) [1], très probablement surévalué. La dernière étude l’ARCEP considère un très faible poids du réseau à 11 % de la consommation électrique [3], très probablement sous-évalué. Si bien qu’en valeur moyenne, centres informatiques et réseaux totalisent environ 25 % chacun de la consommation électrique du numérique en France.

Si la consommation électrique est probablement assez équivalente en valeur absolue, la dynamique n’est pas du tout la même chez les opérateurs télécoms et les opérateurs de centres informatiques.

Les mesures indirectes seront les plus efficaces pour les centres informatiques

Au niveau des data centers, des efforts conséquents ont déjà été faits ces 15 dernières années pour réduire leur consommation électrique. On est ainsi passé d’un PUE de 3 au début des années 2000 à un PUE inférieur de l’ordre de 1,5 au début des années 2020. Ce sont donc surtout des approches indirectes – notamment l’écoconception des services numériques – qui permettront de réduire efficacement la consommation électrique des centres informatiques en réduisant le nombre de m2 nécessaires. Il ne faut donc pas viser directement les data centers, mais plutôt les éditeurs des services qui y sont hébergés.

Opérateurs télécoms : mutualiser les infrastructures

Les gains d’efficience énergétique sont plus évidents pour les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès internet.

Du côté des utilisateurs, même si des progrès remarquables ont été faits sur les box fibre dual play de dernière génération, le parc n’a pas encore été complètement renouvelé (ce qui dégraderait au passage le bilan énergie grise de l’opérateur) et tous les FAI ne jouent pas le jeu de l’écoconception. Il est donc temps de rendre obligatoire un mode veille vraiment efficace et accessible sur les box et décodeurs TV pour aider les utilisateurs à économiser des kWh.

L’autre mesure évidente consiste à rendre obligatoire la mutualisation des box des particuliers dans les habitats collectifs. C’est techniquement facile à mettre en oeuvre. Et on pratique cette mutualisation depuis 25 ans dans les entreprises sans que cela pose problème.

Au niveau du réseau de l’opérateur, le même phénomène de mutualisation, mais appliqué aux stations de base radio (“antennes relais”) permettrait d’économiser beaucoup d’électricité. C’est en effet aberrant que chaque opérateur déploie son propre réseau en parallèle de celui de ses concurrents.

Les autres articles de cette série :
Numérique : comment contribuer à l’effort de sobriété énergétique de la France ? (1/4)
Quel est le bilan énergétique du numérique en France ? (2/4)
Numérique : comment réduire son énergie grise ? (3/4)
Numérique : comment réduire la consommation d’électricité ? (4/4)

Sources :
[1] GreenIT.fr, 2020-2021, iNum : Impacts environnementaux du numérique en France
[2] Negawatt, cité dans cet article https://www.greenit.fr/2018/02/20/transition-numerique-fera-t-exploser-consommation-denergie/
[3] Ademe-Arcep, 2022

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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