Catégorie : Bonnes Pratiques

Nudge vert ou petits pas ?

Depuis quelques années, la théorie des petits pas, souvent associée au terme « kaizen » et épaulée par des « nudges verts », s’impose comme une approche « douce » et « non contraignante » pour accélérer la transition écologique. L’idée est de glisser très progressivement vers un monde plus durable, sans révolution ou approche radicale, en en laissant le choix aux êtres humains. Cette approche est-elle efficace et souhaitable ?

Kaizen et nudge

En japonais, « Kaizen » signifie « changement » (kai) « positif » (zen). On traduit aussi ce « changement positif » par « amélioration ». De là à faire un lien avec « l’amélioration continue », que l’on associe souvent au terme « théorie des petits pas », il n’y a … qu’un pas. Cette articulation sémantique des concepts paraîtra certainement grossière aux experts du sujet, mais l’idée est là : selon les tenants de ces approches

on progresse plus vite et plus efficacement en adoptant une approche itérative et par petits pas ou petites étapes que via un changement planifié, radical (profond) et brutal (rapide et imposé).

Les « green nudges » ou « nudge verts » ou « coups de pouce verts » ont vocation à vous aider à faire ces petits pas.

« Un nudge est un aspect de l’architecture des choix qui modifie de manière prévisible le comportement des individus sans interdire aucune des options et sans reposer sur une incitation économique significative » indiquent Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur livre  Nudge : improving decisions about health, wealth, and happiness paru en 2008.

Des petits pas… aux objets connectés

Les start-ups de la « green tech verte » [1] surfent sur ces tendances. Elles proposent de créer des « nudges verts » qui s’appuient sur des objets connectés pour éclairer votre comportement, vous aider à vous positionner par rapport à la norme, et, pour certains, créer une émulation entre leurs utilisateurs.

Au final, la plupart vous expliquent grâce à des capteurs high-tech et connectés qu’un bain consomme plus d’eau qu’une douche, qu’il faut dégivrer son congélateur régulièrement, éteindre les appareils électroniques et pas seulement les laisser en veille, faire tourner son lave-vaisselle plein plutôt qu’à moitié rempli, etc.

Le tout est généralement bien emballé avec des études « scientifiques » à l’appui, un look sympa et branché, et un discours très positif. De quoi vous inciter à casser votre tirelire pour sauver la planète à grand renfort d’électronique.

Pour illustrer cette tendance, vous pouvez jeter un œil par exemple à :

  • Ween, le « premier thermostat connecté autonome de votre Home Smart Home » ;
  • le « compteur intelligent pour la douche » Amphiro A1 qui promet « d’économiser 440 kWh en énergie thermique par année »

Efficace ou pas ?

Pour des personnes douées de bon sens et aptes à prendre leurs responsabilités sans coup de pouce, créer des « nudges verts » à partir d’objets connectés, semble totalement contre-productif : les impacts environnementaux négatifs directs sont certains à très court terme alors qu’en contrepartie les effets positifs indirects (changement de comportement) sont incertains et à un horizon plus lointain.

Cependant, comme tout le monde n’est pas « écolo dans l’âme », loin s’en faut, il est crucial de ne pas passer à côté d’une solution qui fonctionnerait. D’où cet article exploratoire qui vise surtout à susciter vos réactions en commentaire.

Le Ministère de la transition écologique et solidaire rappelle qu’il existe « un décalage entre les convictions environnementales et la réalité des comportements ». Dans ce contexte, un « nudge vert » peut « aider à réduire cet écart et permet d’aborder l’action publique à partir du comportement réel des citoyens. Il peut être un outil supplémentaire afin d’accélérer la transition écologique ».

Attention aux effets pervers et rebond

Le Ministère indique aussi sur son site que si

« les nudges verts ont donné des résultats très concluants pour multiplier les comportements vertueux. Toutefois, il existe certaines réserves quant à l’efficacité de cette nouvelle approche ».

Parmi les points d’attention évoqués :

  • l’effet rebond : un comportement plus vertueux adopté grâce à un nudge peut entraîner une moindre vigilance par ailleurs. Par exemple, nombre de consommateur qui optent pour des ampoules basse consommation éteignent moins souvent et longtemps la lumière car “cela consomme tellement peu…” ;
  • une efficacité éphémère et à la marge puisqu’elle ne pénètre pas le champ de conscience des individus et ne permet pas de changements radicaux, de remise en cause de comportements et de systèmes. Le terme « coup de pouce » est d’ailleurs explicite sur ce point.

Un petit coup de pousse ou un grand coup de pied dans la fourmilière ?

Une question se pose donc de façon de plus en plus prégnante aux acteurs du développement durable, vaut-il mieux :

  • remplacer le bon sens paysan par des objets connectés (avec tous les impacts environnementaux directs certains que cela suppose) pour faire évoluer des comportements qui relèvent souvent d’une forme de laxisme ou de déresponsabilisation ?
  • ou pousser à la prise de responsabilité par d’autres formes d’action plus radicales (absence de choix) telles que des contraintes réglementaires, des taxations, etc.

Chez GreenIT.fr, nous sommes plutôt partisans d’une ligne médiane constituée d’incitations positives, notamment financières puisque le porte monnaie reste le critère de choix numéro 1 – fiscalité incitative, avantages en nature, etc. – centrées sur les plus gros leviers connus.

On peut y coupler des contraintes légales comme par exemple :

  • un allongement de la durée de garantie légale  des équipements électroniques ;
  • obligation d’écoconception des services numériques – notamment sites web publics – en complément de l’obligation légale existante sur l’accessibilité numérique ;

ainsi que des campagnes de sensibilisation et de formation de public cibles : enseignants, décideurs, etc.

Une certitude demeure : le temps nous est compté

Reste une certitude qui incite à des changements radicaux, c’est-à-dire plus rapides et plus profonds : nous n’avons qu’une seule planète et la situation se dégrade de plus en plus vite. En témoigne le « jour du dépassement » qui avait lieu en décembre il y a 25 ans et qui arrive désormais début août.

Les petits pas c’est bien. Mais lorsque l’on est poursuivit par un troupeau d’éléphants, mieux vaut se mettre à courir !

Votre avis nous intéresse : notamment en ce qui concerne les objets connectés présentés souvent comme des “nudges verts”.

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[1] nous déplorons cette dénomination qui a tout du greenwashing, mais c’est le terme officiel utilisé par l’Etat pour désigner cette filière…

Sources : GreenIT.fr avec https://link.springer.com/article/10.1007/s10602-008-9056-2 et https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/nudges-verts,

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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