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Laval Virtual 2023 : comment évaluer les impacts de la réalité virtuelle ?

Le métavers, la XR, la VR : on entend beaucoup parler aujourd’hui de ces innovations, mais leurs promoteurs ont-ils seulement envisagé leurs impacts environnementaux potentiels ? Et leurs impacts sociaux ?

A l’heure où ces technologies prennent leur essor portées notamment par les GAFAM, les utilisateurs, dans un sentiment de schizophrénie, posent la question suivante : les univers virtuels vont-ils participer à réduire ou à augmenter nos impacts environnementaux ?

J’étais invitée par Grégory Maubon (consultant expert en réalité augmentée et co-organisateur du salon Laval Virtual) à discuter de ce sujet au nom de Green IT au Laval Virtual 2023, avec David Nahon, qui représentait le CNXR, la communauté française de l’expérience de réalité virtuelle.

Un échange court au regard des enjeux, mais néanmoins riche ; les messages essentiels sont passés auprès d’un public de 300 personnes très attentives !

Contexte : les impacts du numérique

Pour comprendre en quoi les impacts environnementaux liés aux univers virtuels sont un enjeu, rappelons quelques ordres de grandeur :

Les limites planétaires

40 % de notre budget soutenable pour rester en dessous de 1,5°C de réchauffement climatique

Pour rester en dessous de 1,5°C de réchauffement climatique (l’engagement des accords de Paris sur le climat), chaque être humain dispose d’un budget gaz à effet de serre annuel identique, soutenable.

En Europe, le numérique consomme à lui seul 40 % de ce budget soutenable.

Cela signifie qu’il nous reste 60 % de notre budget soutenable pour faire des activités aussi diverses et essentielles que se nourrir, se chauffer, se loger, se soigner, se déplacer, et toutes les autres. Cela signifie aussi que, pour l’avenir, augmenter la part du numérique au-delà de ces 40 %, réduira mécaniquement la part disponible pour nos besoins essentiels.

Outre ce “budget gaz à effet de serre”, nous avons un “budget ressources” à ne pas dépasser. Or, actuellement, c’est aussi 40 % de notre budget soutenable concernant l’épuisement des ressources en minéraux et métaux qui est déjà absorbé par le numérique. Des ressources dont on sait pourtant qu’elles sont non-renouvelables, qu’elles se raréfient, et sont pour certaines en conflit entre leurs usages, avec des enjeux géopolitiques grandissants quant à la dépendance à ces éléments. Faut-il construire prioritairement des panneaux photovoltaïques et des éoliennes, ou des batteries de véhicules électriques ? Des IRM ou des écrans ? Des casques de réalité virtuelle et les serveurs du métavers ou des thermostats connectés ? 

Ces deux versants – contribution au réchauffement climatique et épuisement des ressources – nous posent à tous une question de priorité cruciale. Cette question ne peut se résoudre dans un débat d’experts et nécessite de nous en emparer collectivement : d’une part, en tant que citoyens et, la vie citoyenne ne s’arrêtant pas aux portes de l’entreprise ou du magasin, dans nos vies professionnelles et en tant que consommateurs.

Les perspectives de développement

Prédire à quoi ressemblera le numérique en 2050 est toujours délicat, tant les innovations vont vite dans ce secteur. L’ADEME et l’ARCEP se sont prêtées à cet exercice en imaginant 4 scénarios possibles. Leur résultat est sans appel : seul le scénario de la sobriété permet une réduction des impacts environnementaux du numérique. L’étude est accessible ici.

Comment connaître les impacts environnementaux du métavers ?

A l’heure actuelle, aucune étude ne permet de dire quels sont et quels seraient les impacts environnementaux associés au développement de la réalité virtuelle et des mondes virtuels comme le métavers. Il serait donc bien imprudent d’avancer des chiffres sans avoir pu réaliser une analyse du cycle de vie (ACV) des équipements qui permettent de proposer le produit ou le service « univers virtuel ».

Tout d’abord, il faut définir de quoi on parle. Classiquement, le numérique se décompose en 3 « tiers » : terminaux utilisateurs, réseaux, data centers.

Les terminaux des utilisateurs (ordinateurs, smartphones, etc.) concentrent l’écrasante majorité des impacts environnementaux du numérique. Ceci pour 3 raisons :

1.   Chacun de nous a une multitude d’équipements différents : un Européen dispose en moyenne de 9 équipements numériques, dont en moyenne 3 appartiennent à la catégorie des objets connectés.

2.   Nos équipements ont une durée de vie très courte.

3.   Contrairement à un data center qui mutualise les usages de milliers de personnes mais que nous visualisons très bien comme un gros hangar avec beaucoup d’impacts, nous avons tendance à oublier que nous sommes très nombreux (environ 500 000 000 d’Européens).

Cela ne veut pas dire que les data centers n’ont pas d’impact, loin de là ! Cependant, pour être efficace il nous faut cibler par ordre de priorité les domaines qui ont le plus d’impacts :

En 2019, en Europe toujours, les terminaux utilisateurs représentaient 90 % de la contribution du numérique à l’épuisement des ressources en minéraux et métaux, pour 5 % pour les data centers. Concernant la contribution au réchauffement climatique, les terminaux représentaient 65 % des impacts du numérique, pour 23 % pour les data centers. Les terminaux représentent 80 % de la production de déchets du numérique, contre 13 % pour les data centers.

Bien que les usages du cloud et des data centers risqueraient fortement de s’accroître si l’utilisation de la réalité virtuelle se développait à grande échelle, ces proportions terminaux / data centers devraient rester à peu près les mêmes :

Qu’en est-il des impacts environnementaux associés à la fabrication de ce casque de réalité virtuelle ? Quelle est sa durée de vie ? Combien de ces appareils seront mis en circulation dans les prochaines années ? Fonctionneront-ils pour tous services virtuels, ou devrons-nous en acquérir plusieurs selon les prestataires ?  Ces appareils seront-ils réparables, pourront-ils être mis à jour ? Leurs pièces seront-elles réutilisables et  interchangeables selon les modèles et les générations de ces équipements ? 

Qu’en sera-t-il des accessoires qui ont vocation à augmenter encore les expériences? Ces gants sensoriels, combien seront-ils ? Quelle fragilité et quelle durée de vie ? Quelle réparabilité ?

Pourra-t-il y avoir un marché du réemploi de ces objets?

Comment concevoir un univers virtuel “éco-conçu”, le moins gras possible, et ce faisant qui évite de participer à l’obsolescence logicielle du casque (effet de ralentissement, incompatibilités, …) ?

Allez, soyons fous : quelles seraient les conditions qui permettraient de réduire les impacts environnementaux du numérique avec les casques de réalité virtuelle ?

A l’heure actuelle, les télévisions représentent environ 14 % des impacts environnementaux du numérique à elles seules. On décompte environ une télévision pour 2 habitants en Europe. Si elles étaient remplacées par des casques, peut-être que cela réduirait  les impacts environnementaux du numérique, mais :

1.   Le risque d’effets rebonds est fort :

  •  Le nombre de casques ne risque-t-il pas d’exploser ? Ce n’est pas tant en effet, les usages professionnels de la XR qui sembleraient être des vecteurs de croissance à en croire les professionnels du secteur, mais l’entertainment grand public. A défaut d’une substitution des télévisions par les casques, ne risque-t-on pas d’assister à un empilement, contre-productif en termes de réduction des impacts environnementaux ?
  • Leur durée de vie sera-t-elle comparable à celle des télévisions ou restera-t-elle très courte ?
  • Ne risque-t-on pas, comme pour les différentes générations de consoles de jeux vidéos, d’assister à un empilement des différentes générations de casques ?
  • Encore une fois, quel degré de réparabilité de ces casques et quelle compatibilité des pièces d’un modèle à l’autre ?
  • Avec des univers virtuels de plus en plus complexes et détaillés, quid de la puissance de calcul embarquée dans ces appareils, ou de la puissance de calcul nécessaire ailleurs, dans le cloud ? Quels effets rebonds en termes d’infrastructure cloud et réseaux pour supporter la charge de ces nouveaux usages ?

2.   « Ceci tuera cela » disait Victor Hugo, dans Notre Dame de Paris, voyant l’imprimerie détrôner l’architecture comme façon de conceptualiser le monde. Cependant, les cathédrales n’ont pas disparu pour autant : l’histoire n’a de cesse de nous rappeler que « ceci » s’additionne à « cela » et que rares sont les cas de substitution complète. Il ne faudrait pas se leurrer en imaginant les télévisions disparaître complètement au profit des casques de réalité virtuelle.

3.   La question de la multiplicité des écrans, et l’addiction qu’ils provoquent ne se résoudra pas uniquement par la substitution d’une technologie par une autre.

4.   Enfin – et peut-être est-ce par là qu’il faudrait commencer… – est-ce vraiment le modèle de société que nous voulons ?

Car au-delà des impacts environnementaux, on pourrait encore prolonger ces questions sur le terrain sanitaire et de protection des individus : quels flux de données, notamment de données personnelles, seront traités ? Quels seront les impacts sanitaires, cognitifs, sociaux ?

Face à ces défis, comment agir ?

En tant que citoyen et dans nos vies personnelles :

  • en me posant systématiquement la question avant d’acheter un nouvel équipement « en ai-je vraiment besoin ? »
  • en m’informant voire en me formant
  • en soutenant ou en rejoignant une association qui tente de limiter les impacts environnementaux du numérique
  • en m’exprimant sur le modèle de société que je souhaite et en participant à le construire

En tant que professionnel :

  • en questionnant ma pratique : quels sont mes leviers d’action au sein de mon organisation pour réduire les impacts environnementaux du numérique ?
  • en se formant
  • en mettant en œuvre dans son organisation une démarche d’écoconception des produits ou services et une démarche numérique responsable.

Source : greenIT.fr

Lorraine de Montenay

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