Catégorie : idée

Sobriété : manifeste pour une slow.tech

Une de mes missions préférées au sein du collectif Green IT et de la startup Resilio est de préparer l’avenir. Cela se passe au sein de cellules R&D dans lesquelles nous mettons au point les démarches que vous appliquerez probablement demain au sein de votre organisation. C’est ainsi que nous avons fait naître et grandir les démarches de sobriété numérique, puis de numérique responsable, et d’écoconception de service numérique.

Depuis 10 ans, je travaille sur une approche pour étendre la sobriété numérique à la technologie en général et pour pousser l’écoconception un cran plus loin. Les nombreuses discussions que nous avons eues avec Léa Bitard (EPFL / Resilio) ont accouché de ce concept de slow.tech.

La slow.tech est une nécessité

La slow.tech est une nécessité. Pour l’environnement, pour la santé humaine et pour la société.

L’avenir prométhéen que l’on nous promet n’existera pas : faute de ressources nous serons incapables de le concrétiser. En effet, au rythme où nous consommons actuellement les ressources abiotiques permettant de fabriquer la haute technologie (high tech), et compte tenu des coûts environnementaux que cela engendre, il ne nous reste que quelques décennies d’horizon. La haute technologie qui nous entoure consomme déjà plusieurs fois le budget annuel soutenable d’un européen. Rien que le numérique représente déjà 40 % de ce budget. Pour être soutenable, ce devrait être 10 fois moins.

Du point de vue de l’éthique et de la santé humaine, pour rester sur l’exemple du numérique, la dépendances aux écrans – qui est volontairement renforcée par les acteurs du numérique en manipulant le circuit de la récompense dans notre cerveau – est d’une folle indécence. Et c’est sans parler des dérives concernant la collecte et l’exploitation de nos données personnelles.

Enfin, d’un point vue sociétal, la dépendance de la société humaine à la haute technologie est telle, qu’une rupture de disponibilité de cette haute technologie, ne serait-ce que pendant quelques années, aurait des répercutions considérables. La résilience de notre civilisation passe inévitablement par une plus grande indépendance vis à vis de la high tech.

Il y a donc urgence à proposer une alternative à une vision 100 % high-tech de l’avenir, qui ne pourra advenir. Et de créer une technologie utile et respectueuse des êtres humains, voire désirable, plutôt qu’une technologie qui manipule, exploite et asservit.

Définition de la slow.tech

Comme la sobriété numérique, la slow.tech est multifacettes. C’est à la fois :

  • Une posture pour penser notre rapport à la technologie et ;
  • Une démarche opérationnelle de conception technique.

La slow.tech poursuit quatre objectifs principaux :

  1. Réduire le plus rapidement possible la contribution de la high-tech aux crises environnementales majeures (réchauffement global, biodiversité, etc.) ;
  2. Economiser cette ressource critique qu’est la high tech pour l’humanité (au moins à court terme compte tenu de notre dépendance) ;
  3. Préparer l’humanité à une civilisation qui sera inéluctablement moins high-tech d’ici quelques décennies ;
  4. Retrouver une relation à la technologie apaisée, sereine et saine.

Dans la suite de l’article, il faut donc interpréter la notion de « low tech » comme une approche moins « high-tech », mais aussi moins agressive, plus sereine et plus respectueuse de la nature humaine.

La slow.tech en une équation

Si on avait à résumer ce vaste concept et cette méthodologie en une équation, elle prendrait cette forme :

slow . tech = ( low + high ) . tech

Aujourd’hui, cette équation est équilibrée de la sorte dans les pays occidentaux : 10 % low + 90 % high .

Tout l’enjeu est donc de parvenir à remplacer progressivement, dès que c’est possible, la high tech par de la low tech. On pourra ainsi glisser progressivement vers un monde qui sera demain, que cela nous plaise ou pas, plus low que high.

Une démarche ni technophobe, ni technophile

Cette « voie du milieu » n’est pas technophobe, bien au contraire. C’est une démarche qui vise à économiser le plus possible de haute technologie, le plus tôt possible. Car la valeur de la haute technologie est inestimable pour l’humanité. Mais les stocks étant limités, plus les années vont passer et moins elle sera disponible et plus sa valeur va augmenter.

Nous devrions d’ors et déjà considérer la high tech comme un bien commun. Car, avec la raréfaction progressive des ressources, passer un scanner ou modéliser le climat coûtera de plus en cher, tant d’un point de vue environnemental qu’économique. La slow.tech est donc un outil au service de l’humanité.

La slow.tech pose les questions du comment et du pourquoi. Comment utiliser le plus ingénieusement toutes les technologies (low et high) à notre portée. Et, pour quoi faire ? L’intelligence artificielle est un bon exemple : elle permet de détecter certains cancers, mais aussi de doper les ventes de produits jetables.

Une solution structurée pour mettre en oeuvre la sobriété

D’un point de vue opérationnel, la slow.tech est une méthodologie structurée et validée pour répondre à «  la fin de l’abondance ».

Pour que l’humanité puisse disposer le plus longtemps possible de hautes technologies pour répondre à ses besoins critiques – se soigner, modéliser le climat, etc.-  il n’y a pas 36 solutions, il faut économiser les stocks de matériaux à partir desquels nous fabriquons la haute technologie. C’est pourquoi, lorsque l’on conçoit une solution avec la méthodologie slow.tech, on cherche systématiquement et dès que c’est possible, à remplacer de la haute technologie par de la basse technologie.

Par exemple, dans le domaine du numérique, on remplacera une application mobile 5G de prévision pluviométrique par un simple SMS. Indispensable, le supercalculateur qui prévoit la pluie sera conservé, mais l’application 5G qui n’apporte rien pourra être remplacée par un SMS.

Au final, la slow.tech est donc une question d’équilibre entre le problème à résoudre et les moyens mis en oeuvre. On voit aussi que c’est une approche différente et complémentaire à la low tech qui utiliserait probablement plutôt un baromètre mécanique et des connaissances pour prévoir la pluviométrie locale.

Définir des échelles entre low et high tech

Comme le montre cet exemple réel (pluviométrie), lorsque vous concevez un nouveau système hybride en slow.tech, il y a souvent plusieurs graduations entre low et high tech. Cette échelle dépend d’où l’on se place : un cadre français vivant à Paris ne décrira pas la même échelle entre high et low qu’un agriculteur bangladais vivant dans une zone rurale reculée.

La slow.tech est donc aussi une question de perspective : tout le monde ne commence pas la démarche avec une équation équilibrée de la même façon. En occident, on sera plutôt à 10 % low + 90 % high alors qu’au Bangladesh les ordres de grandeurs seront inversés. Dit autrement, dans le domaine de la slow.tech, l’occident est très en retard par rapport aux pays “émergents”.

Un enjeu d’avenir, bien plus important que le metavers

Au final, l’enjeu est d’adopter un rapport à la technologie plus apaisé et plus détaché au quotidien et de dessiner un chemin qui nous amène en douceur vers un monde où la low tech sera probablement la règle et où le peu qui reste de haute technologie devrait idéalement être considéré comme un bien commun.

Entre le tourisme spatial et le metavers, il n’est pas certain que l’humanité est décidée de suivre cette voie. Mais il nous semble important d’au moins la dessiner.

P.S. : le terme slow tech est déjà employé depuis quelques années sans qu’un consensus se dégage sur sa signification et son origine. Nous ne cherchons pas ici à préempter ce terme, mais uniquement à nommer une posture vis à vis de la technologie et une méthode que nous mettons en oeuvre depuis une dizaine d’années.

Source : GreenIT.fr

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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