Catégorie : idéeCatégorie : Outils

100 portables réchauffent 1 hectare de planète d’un degré pendant 60 ans

Les émissions de gaz à effet de serre : un indicateur du réchauffement climatique

L’analyse du cycle de vie (ACV) est la méthode établie et reconnue par la communauté internationale pour évaluer les impacts environnementaux d’un produit ou d’un service. Elle se caractérise notamment par une approche sur le cycle de vie complet du produit étudié et une évaluation multicritères, dont celui des émissions de gaz à effet de serre (GES), exprimée en kilogramme CO2 équivalent (kg CO2e). Les gaz à effet de serre ayant des durées de vie et des puissances de réchauffement différentes, cette unité permet d’exprimer le réchauffement qu’ils provoquent comme la quantité de CO2 qui provoquerait le même réchauffement.

Ainsi, bien que leurs cycles de vie émettent des GES différents, 230 kg CO2 e sont émis au cours de la vie d’un ordinateur portable [1] contre 6 kg CO2e pour un sac de randonnée [2].

Quel est le réchauffement causé par une quantité de GES donné ?

S’il est alors possible de comparer les impacts concernant le réchauffement climatique entre des produits et leurs marchés, une représentation ou une illustration de l’effet d’un kg CO2e sur la température moyenne de notre planète est utile pour évaluer la gravité des émissions ou la pertinence de solutions de captation de GES. Par exemple : 230 kg CO2e pour un portable alors qu’il y a environ 16 millions d’ordinateurs en France [3], cela réchauffe-t-il beaucoup la planète ? Est-ce grave ? Insignifiant ?

Contribution de l’augmentation de CO2 au réchauffement climatique

L’objectif de cet article est de proposer un moyen d’illustrer plus directement l’impact d’une émission de GES donnée sur le réchauffement climatique. Les étapes principales de ce calcul sont :

  • de déterminer la quantité de CO2 atmosphérique qui a contribué au réchauffement d’un degré de la planète entre l’ère pré-industrielle et aujourd’hui
  • de diviser cette quantité par la surface totale de la Terre
  • ainsi, on peut estimer la surface réchauffée d’un degré par une quantité de CO2 (ou CO2e) donnée

On obtient alors que les 23 tonnes CO2e émises au cours de la vie de 100 ordinateurs portables correspondent au réchauffement d’un degré d’un hectare (100 m par 100 m) de la planète pendant 60 ans environ.

Sketchnote de Sophie Sorel-Giffo, autorisée pour publication dans cet article et ailleurs sous Creative Commons 3 attribution-pas d’utilisation commerciale

Perspectives

Cet indicateur de surface réchauffée par kg CO2e a surtout l’ambition symbolique d’illustrer un ordre de grandeur des impacts de nos activités humaines sur le réchauffement climatique et d’en visualiser l’ampleur. Il peut être ainsi utilisé à des fins de vulgarisation des impacts et dans les processus de décision visant à les réduire.

Il ne doit pas être pris au pied de la lettre scientifiquement, notamment à cause des raisons suivantes : les GES en question sont émis à différents moments du cycle de vie et à différents endroits de la planète, ils ne se concentrent pas au-dessus de la même zone pour la réchauffer d’un degré ; le réchauffement climatique est causé par des processus divers interagissant entre eux et influencés par des rétroactions correctives ou aggravantes qui varient dans le temps et l’espace ; l’augmentation de la concentration en GES n’a pas un effet si linéaire que ça sur l’augmentation de la température moyenne de la planète.

Calculs

Note : l’expression En indique la ne puissance de 10 (E3 = 103 = 1000).

  1. la température moyenne annuelle s’est réchauffée d’un degré celsius entre l’ère pré-industrielle (finie en 1800) et 2015 [4]
  2. sur une période similaire (1820-2013), la concentration atmosphérique en CO2 a augmentée de 120 ppm (en passant de 280 ppm à 400 ppm), ce qui correspond à une masse de CO2 supplémentaire de 938,4 E12 kg (120 * 7,82 E12) [5]
  3. il est estimé que les émissions de CO2 contribuent à 80% du réchauffement climatique [6]. Ainsi, la masse supplémentaire de 938,4 E12 kg CO2 correspond au réchauffement de 0,8°C, soit par extrapolation 1173 E12 kg CO2 pour 1°C (938,4 E12 / 0,8)
  4. la surface de la Terre (terres et mers) est de 5,1 E8 km² [7]
  5. en divisant cette augmentation de masse de CO2 par la surface de la Terre, on obtient que 2300 E3 kg CO2 (1173 E12 / 5,1 E8) supplémentaires se sont accumulés au-dessus de chaque km² de notre planète, contribuant à un réchauffement d’un degré par rapport à l’ère pré-industrielle, soit 2300 tonnes. Un kilomètre carré faisant 100 hectares, cela fait 23 tonnes de CO2correspondant au réchauffement d’un degré d’un hectare
  6. réciproquement, une augmentation d’une tonne de CO2 atmosphérique a correspondu au réchauffement d’un degré de 435 m² de la surface de la planète (1 E6 m² / 2300 t)
  7. le paragraphe Global warming potential de l’article wikipedia Greenhouse gas évoque la durée de vie du CO2 atmosphérique est estimée entre 30 à 95 ans [8], soit environ 60 ans en moyenne

La quantité supplémentaire de CO2 atmosphérique impliquée dans le réchauffement d’un degré pour un kilomètre carré de la Terre s’obtient avec la formule finale suivante :

Et l’application numérique :

Applications à l’illustration de différentes émissions de GES

Le cycle de vie de 100 ordinateurs portables émet les 23 tonnes CO2e correspondant au réchauffement d’un hectare, soit la surface de l’Élysée ou de 2 terrains de football.

Les activités numériques (professionnelles et individuelles) françaises émettent chaque année 24 360 000 tonnes CO2e [3], ce qui correspond à une surface de 10 000 km² réchauffée pendant 60 ans, soit 100 fois la surface de Paris [9].

En appliquant ces calculs aux flux de GES de 2017 [10], on obtient la carte ci-dessous de la surface “refroidie” par les UTCATF (utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie – puits de carbone) et les surfaces réchauffées selon les grandes catégories définies par le GIEC (émissions de carbone) avec, en pointillés, la surface concernée par le numérique. Notons que ces surfaces se cumulent année après année.

(illustration de Luc Sorel-Giffo (fond de carte : Steren), autorisée pour publication dans cet article et ailleurs sous Creative Commons 3 attribution-pas d’utilisation commerciale)
 catégories d’émissions 
(2017)
 émissions de GES 
(Mt CO2e)
 surface réchauffée 
(km²)
UTCATF-35,8-15573
total hors UTCATF :465  202275
– énergie 327  142245
– agriculture 76  33060
– procédés industriels 44  19140
– déchets 17  7395
numérique (2019)24,410614

Que faire ?

Les impacts environnementaux du numérique sont effectués à 80% pendant la phase de fabrication du matériel et concernent essentiellement la fabrication des appareils de consultation (smartphones, tablettes, ordinateurs) [1]. La prolongation de leur durée de vie est l’action la plus simple pour réduire cet impact :

  • 4R : réparer, ré-utiliser du matériel d’occasion, ré-employer, recycler. Mais aussi le 5e “R” : refuser (un achat)
  • se connecter aux infrastructures réseau les moins gourmandes en ressources, qui usent donc le matériel le moins vite : filaire de préférence, wifi sinon, 4G en dernier recours
  • sobriété des usages et des pratiques commerciales (arrêter le téléphone à un euro sur engagement de forfait)
  • concevoir des services numériques éco-conçus pour éviter les obésiciels (formation)
  • vous impliquer sur greenit@simplelists.com 

Références et remerciements

[1] moyenne de différentes valeurs trouvées dans les pages 34 et 42 de : Bordage F., 2019, Sobriété numérique : les clés pour agir

[2] Ademe, 2018, Modélisation et évaluation des impacts environnementaux de produits de consommation et bien d’équipement

[3] Collectif, 2020, Étude « iNum », Impact environnementaux du numérique en France

[4] Hawkins et al., 2017, Estimating changes in global temperature since preindustrial period

[5] Paragraphe Current concentration de l’article Wikipedia sur le CO2 atmosphérique – lui-même citant différentes références bibliographiques

[6] Lashof, D., Ahuja, D., 1990, Relative contributions of greenhouse gas emissions to global warming. Nature 344.

[7] Article Wikipedia Earth, citant des références bibliographiques

[8] Paragraphe Global warming potential de l’article wikipedia Greenhouse gas, lui-même citant l’annexe 8.A du 5e rapport d’évaluation du GIEC pour la durée de vie du CO2 atmosphérique

[9] Article wikipedia Paris[10] Article wikipedia Émissions de gaz à effet de serre en France

Avec les contributions et relectures de Margerie Guilliot, Raphaël Lemaire, Sylvain Révéreault et Frédéric Bordage. Sketchnote de Sophie Sorel-Giffo (@sophiegif). Merci !

Luc Sorel-Giffo

PhD en sciences de l’environnement puis développeur de services numériques depuis 12 ans, je participe à l’animation de la transition éco-responsable de Zenika depuis 2020. Mes centres d'intérêt tournent autour de la néotonomie, l'ingénierie logicielle, la permaculture et la composition musicale.

Site web - Twitter - Linked In