Catégorie : Acteurs

Electronics Watch : la sentinelle des conditions de travail dans les usines

Brigitte DemeureContributrice de la première heure sur GreenIT.fr, Brigitte Demeure nous a accordé un long entretien pour présenter le travail de l’ONG Electronics Watch dont elle est la porte-parole en France.

Dans la première partie, à lire ici, nous abordons la mission d’Electronics Watch et les raisons de son existence. Nous revenons aussi sur les différents enjeux sociaux et sanitaires dans les usines des géants de l’électronique.

Dans cette deuxième partie, nous abordons le fonctionnement de l’ONG, sa portée géographique et ses apports à la fois pour les acheteurs, mais aussi pour les fabricants.

Avec le témoignage en fin d’article de Jean-Pierre Gilliéron, président du PAIR (Partenariat des Achats Informatiques Romands) qui regroupe 42 entités publiques et parapubliques de tous les cantons romands, dont les villes de Genève et de Lausanne et qui s’est affilié à Electronics Watch.

Comment est né Electroncis Watch et quel est votre rôle ?

Brigitte Demeure : Electronics Watch fait suite à un projet européen, appelé Procure IT fair, qui visait à introduire des critères sociaux et environnementaux dans les appels d’offre publics pour les achats d’ordinateurs. Mais cette inscription de critères sociaux et environnementaux ne permettait pas d’en contrôler l’exécution, d’où le projet Electronics Watch.

En 2015, Electronics Watch est donc devenue une organisation de monitoring indépendante, rassemblant les acheteurs publics, les organisations de la société civile situées dans les régions de production et des experts en droits humains et en chaînes d’approvisionnement globalisées.

Quel est votre rôle ?

Notre mission est d’améliorer les conditions de travail dans les chaînes d’approvisionnement électronique.

Comment faites-vous pour y parvenir ?

Nous informons sur le sujet et organisons l’exigence de la commande publique en matière de conditions de travail décentes dans les chaînes d’approvisionnement du secteur électronique. Nous effectuons aussi des évaluations de risque afin que les acheteurs publics soient conscients des risques encourus par les ouvrier.e.s.

Concrètement, qu’apportez-vous à vos parties prenantes ?

De plus en plus d’organismes du secteur public choisissent de mutualiser les coûts du monitoring et coordonnent leur engagement avec l’industrie au travers d’Electronics Watch.

Quels outils mettez-vous à disposition des acheteurs ?

Nous proposons une plate-forme pour des achats publics socialement responsables avec un appel d’offres et des outils contractuels incluant « la boite à outils de l’acheteur public ». Nous constituons aussi un réseau d’affiliés qui permet aux acheteurs publics d’échanger des idées et d’apprendre les uns des autres.

Et pour les fabricants ?

Electronics Watch leur propose un guide opérationnel afin de leur permettre d’être en conformité avec les exigences contractuelles des affiliés [ndlr : les acheteurs] et effectue une surveillance approfondie de la conformité afin d’identifier et de remédier aux violations relatives au droit du travail et aux normes de sécurité dans des usines spécifiques et en établissant des mécanismes de plainte pour les ouvrier.e.s et leurs défenseurs.

Qui réalise ce monitoring ?

Il repose surtout sur les ouvrier.e.s, associés à des ONG, des syndicats ou autres partenaires issus de la société civile dans les pays suivants : la Chine, Hong-Kong, la Corée, le Vietnam, les Philippines, l’Inde, le Népal, la Thaïlande, l’Indonésie, le Mexique, et la Tchéquie… Ces personnes sont en prise directe avec le terrain.

Quelle est votre portée ?

Notre portée est internationale. A ce jour, Electronics Watch compte plus de 300 affiliés (les acheteurs publics) dans sept pays, dont plus 15 universités du Royaume Uni, mais aussi des Pays-Bas, d’Allemagne, des USA, ainsi que des autorités municipales ou régionales dont les villes de Londres, d’Amsterdam, des comtés suédois, un consortium d’entités publiques suisses, (dont les villes de Lausanne et de Genève), la ville de Barcelone, ainsi qu’un syndicat britannique, Unison.

Pourquoi l’exigence de la transparence de la chaîne d’approvisionnement est-elle si indispensable ?

Lorsque l’affilié / acheteur exige du ou des contractants / fabricants la transparence de sa filière d’approvisionnement, ses exigences augmentent la transparence de la chaîne d’approvisionnement. Des marques telles que Brother, Dell HP, Lenovo, et d’autres relient maintenant au moins quelques unes de leurs usines à l’objet du contrat, ou bien font état de leur inventaire de produits chimiques ou permettent à Electronics Watch de contrôler une usine.

Vous pouvez aussi lire la première partie de cette interview qui dresse la longue liste des points à améliorer.

Pouvez nous nous donner un exemple de résultats positifs ?

Dans une usine en Indonésie, des ouvrières fabriquent des hauts-parleurs pour écouteurs et pour casques pour plusieurs entreprises leaders sur le marché. Parmi les 4 200 employés, 95 % sont des femmes âgées de 18 à 23 ans. Quelques unes préparent le film transparent pour le haut-parleur, et le lavent dans le toluène. Le toluène est un solvant industriel qui peut affecter le système nerveux central, les yeux, la peau, le système respiratoire, le foie et les reins, selon l’exposition au produit. Le danger pour les jeunes femmes en âge de procréer est particulièrement grave puisque ce produit peut provoquer des malformations de naissance.

En octobre 2017, Electronics Watch a rencontré un certain nombre d’ouvrières concernées. Il a fallu une année avant qu’elles soient prêtes à adresser une plainte au principal client de l’usine, Samsung. Elles avaient peur de représailles.

Entre-temps, Electronics Watch était entré en communication avec Samsung au sujet d’autres problèmes, et deux semaines après avoir reçu la réclamation des ouvrières d’Indonésie, Samsung procéda à un audit. L’usine remplaça le toluène par de l’éthyle acétate, qui est moins nocif. Elle changea aussi le système de ventilation et équipa les ouvrières de masques de protection adéquats.

Jean-Pierre Gilliéron, pouvez-vous d’écrire brièvement le PAIR ?

Jean-Pierre Giliéron - PAIRLe PAIR (Partenariat des Achats Informatiques Romands) fédère les acheteurs de 42 entités publiques et parapubliques de tous les cantons romands, dont les villes de Genève et de Lausanne, qui ont à cœur de réaliser des achats IT / numérique responsable. Dans ce cadre, nous cherchons des outils pragmatiques pour améliorer la performance sociale de nos achats.

Pourquoi le PAIR S’est-il affilié à Electronics Watch ?

Cette affiliation rend concret et opérationnel notre engagement en faveur des achats responsables sur le volet social. Elle nous permet de vérifier que les critères de nos appels d’offres, visant à prévenir et à diminuer les risques de violation des droits humains dans ses achats informatiques, sont réellement contrôlés dans les faits.

Le nouveau site d’Electronics Watch dispose maintenant d’une version française régulièrement actualisée.

 

source : GreenIT.fr

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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