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Data center : comment allier efficience énergétique et environnement ?

Fin 2012, j’ai eu l’opportunité d’animer une table ronde organisée par Eaton sur les enjeux environnementaux et techniques du data center du futur. L’occasion de publier une synthèse des échanges entre trois experts du sujets : Nicolas Fontes, Directeur Commercial d’Iliad (la maison mère de Free) ; Cyrille Brisson, Vice-Président de la Division Power Quality d’Eaton et Philippe Daga, Directeur Général d’Eaton Industries France.

Le contexte

A l’heure où la France ouvre un grand débat national sur l’énergie, les centres informatiques (data center) sont sous les feux de la rampe. Greenpeace fustige leurs émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement anglais leur applique une taxe carbone. L’Europe pourrait rapidement en faire de même. Il faut dire que le data center représentent 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), soit autant que l’aviation civile ! Et cette part dans les émissions de GES va continuer à augmenter si rien n’est fait.

A l’ère internet, le système d’information est le système nerveux d’une entreprise, notamment pour les entreprises du tertiaire, majoritaires dans les pays développés. Au centre du dispositif, les centres informatiques (data centers) occupe la même place que le cerveau : ils assurent la disponibilité permanente des données et des applications. Le rôle des Data Center devient prépondérant à mesure que la société entre dans l’ère du « toujours connecté » et du «cloud computing ». Ils ne peuvent plus tomber en panne car, s’ils s’arrêtent, c’est toute l’activité de l’entreprise qui s’arrête. Avec des conséquences économiques et d’image de marque désastreuses.

En conséquence, les besoins d’hébergement d’applications et de données ne cessent de croître. Le volume de données numériques a été multiplié par 69 ces 10 dernières années. La production de données numériques de l’année 2010 équivaut à tout ce qui a été produit depuis l’apparition de l’humanité !

Mais depuis quelques années, cette croissance exponentielle des m2 de Data Center se heurte au coût de l’énergie et aux impacts environnementaux associés qui ne cessent de croître. Avec la dérégulation du marché, le prix du kWh va augmenter de +35 % ces 3 prochaines années (60 millions de consommateurs). A ce rythme, la facture électrique des Data Center représentera bientôt le principal coût opérationnel. La facture électrique d’un serveur est déjà supérieur à son coût d’achat 12 à 18 mois après son acquisition.

Comment les acteurs du data center réagissent-ils à ces contraintes économique et écologique ? Quelles sont leurs solutions pour augmenter la capacité et le niveau de disponibilité des DC tout en réduisant leur empreinte économique et écologique ? C’est à ces questions qu’ont répondu nos trois experts.

Disponibilité des données, un enjeu crucial pour les entreprises

Eaton-Philippe_Daga_small.jpgPour Philippe Daga, « tous les secteurs sont concernés par cette révolution numérique. Les clients exigent désormais de pouvoir entrer en contact 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 avec les organisations. Ils souhaitent par exemple pouvoir réserver un billet de train à 3 heures du matin si cela leur chante ».

« Les entreprises sont gérées en flux tendus et le travail est devenu très collaboratif : la messagerie et l’intranet ne doivent pas tomber en panne, sous peine de paralyser toutes l’entreprise et ses partenaires. Dans le contexte actuel de crise économique, l’agilité et la réactivité apportées par le système d’information sont cruciales pour rebondir. Les data centers récents proposent tous un niveau de disponibilité tier 3 et quelques 4 avec des versions hybrides tier 3+ qui sont souvent des tier 4 au niveau du circuit électrique et des tier 3 au niveau du refroidissement » ajoute Nicolas Fontes.
Malgré les investissements nécessaires, ce haut niveau de disponibilité est rentable. « Une indisponibilité informatique d’une heure coûte : 1 heure de salaire moyen x par le nombre d’utilisateurs + une heure de chiffre d’affaire perdu » rappelle Nicolas Fontes. Avant d’ajouter que « en Europe, l’indisponibilité a coûté de 17 milliards d’euros en 2009, dont 10,5 milliards uniquement pour la France (6 milliards) et l’Allemagne (4,5 milliards). Pendant cette période d’indisponibilité, la capacité des entreprises à générer des revenus chuterait de 32 % » détaille-t-il.

Comment allier efficience énergétique et environnement ?

L’empreinte écologique d’un data center est importante. Greenpeace prévoit que la consommation électrique de tous les data centers dans le monde atteindra 2 000 milliards de kWh en 2020 soit la consommation électrique de la France, l’Allemagne, le Brésil et le Canada réunis. « La consommation électrique de 10 000 m2 de salles informatiques est équivalente à celle d’une ville de 50,000 habitants comme Belfort ou Carcassonne » illustre Philippe Daga.

« L’efficience énergétique a le plus gros effet de levier sur la réduction des coûts et sur les nuisances environnementales liées à l’exploitation du data center. Et la mesure existe avec le PUE (Power Usage Effectiveness) qui mesure l’efficacité des datacenters en comparant l’énergie totale nécessaire à celle réservée aux serveurs. Les datacenters classiques affichent des PUE supérieurs à 2 alors que tous les nouveaux projets ont des objectifs inférieurs à 1,5 » explique-t-il.

Iliad-Nicolas_Fontes_small.jpg« Nous faisons tout ce que l’on peut pour réduire la consommation électrique car la facture EDF est notre principale charge opérationnelle » confirme Nicolas Fontes. « Nous travaillons sur l’optimisation énergétique depuis plusieurs années en nous attelant des sujets tels que l’urbanisation en couloir froid confinés pour amener le froid seulement où c’est nécessaire ; l’installation de refroidissement avec capacité de freecooling importante, des dispositifs métrologiques innovants permettant de réguler la production frigorifique au besoin réel, etc. L’optimisation s’effectue aussi au niveau des chaînes électriques : amélioration du design des infrastructures électriques (long terme), optimisation des transformateurs et de la chaîne UPS… Nous sommes passés sur notre dernière réalisation DC3 d’un rendement de 92 % à un rendement de 97,9 % sur l’ensemble de la chaîne électrique. Lorsque l’on sait que nous avons une charge de 22 MVA….5,9% c’est réellement significatif ! » illustre-t-il.

Eaton-Cyrille_Brisson_small.jpgEn résumé, « la consolidation de la charge informatique est cruciale car elle permet d’augmenter considérablement le taux d’utilisation des équipements informatiques et donc de diminuer les pertes » estime Cyrille Brisson. « Il est alors encore plus essentiel d’être capable d’apporter la juste quantité d’énergie (électricité et froid) au bon endroit et au bon moment, car les besoins vont varier beaucoup plus fortement. L’intelligence des data center repose sur des réseaux de capteurs et des logiciels (embarqués sur les équipements ou installés sur des serveurs) capables d’ajuster l’offre et la demande en permanence. Au-delà de la climatisation de précision et le confinement, les économies les plus fortes sont à trouver du côté du free cooling, c’est-à-dire de l’air extérieur, pour refroidir directement ou indirectement tous les équipements » synthétise-t-il.

A quoi les data centers du futur ressembleront-ils ?

La modularité est la clé pour réduire l’empreinte écologique des data centers du futur tout en réduisant leur coût de fonctionnement. « Il s’agit de construire un centre informatique avec des tranches que l’on ouvre au fur et à mesure des besoins. On reproduit cette démarche au sein même d’une tranche, puis au sein des baies. Cela permet d’apporter la juste quantité d’énergie (froid et électricité) » explique Nicolas Fontes. « En associant modularité et efficience énergétique, nous devrions économiser sur notre dernière réalisation DC3 (à pleine charge) 12 184 MWh par an d’électricité, l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 4 870 foyers français. Sans cette démarche, le site consommerait l’équivalent d’une ville de 22 000 habitants. Au final, ce sont 1 107 tonnes d’équivalent CO2 qui sont économisées. La majorité de cette électricité est économisée en hiver, lorsque l’électricité est la plus chère et la plus polluante (moyens de production thermique) » conclut Nicolas Fontes.

Comme le montre l’exemple de Facebook, la modularité n’est pas réservée au bâtiment. Sa collaboration avec Eaton a permis à Facebook d’obtenir un PUE de 1,06 pour son datacenter de Prineville (Oregon). « Nos onduleurs UPS 9390 sont installés directement entre les baies de serveurs » illustre Cyrille Brisson..

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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