Catégorie : Matériel

L’obsolescence est-elle vraiment programmée ?

Résumé : La loi consommation est passée complètement à côté d’une occasion historique de rétablir la confiance entre fabricants, distributeurs, et consommateurs. Dommage, car, sans cette confiance, la lutte contre le raccourcissement artificiel de la durée de vie des équipements est impossible. Explications.

L’expression obsolescence programmée est à la mode depuis 3 ou 4 ans car elle résume à elle seule les dérives de la consommation individuelle de masse, alors que la planète et ses habitants souffrent d’une double crise économique et environnementale. Cependant, cette mauvaise traduction du terme anglais « planned obsolescence » ne reflète plus la réalité.

De l’obsolescence programmée à l’obsolescence encouragée
La planification de l’obsolescence est une réalité depuis des décennies, démontrée à maintes reprises dans les médias français. En revanche, l’ajout volontaire d’un point de rupture technique (qui donne son nom à l’obsolescence programmée), notamment par le sous dimensionnement d’un composant clé de l’appareil, est de moins en moins fréquent. Pour la simple et bonne raison que cette approche n’est plus nécessaire.

Le raccourcissement artificiel de la durée de vie active d’un produit est désormais un phénomène systémique. Ce raccourcissement est encouragé, accéléré, et soutenu par l’ensemble des acteurs économiques qui y ont intérêt, chacun y allant de sa démarche. Ces démarches se cumulent les unes aux autres, ce qui rend la lutte contre ce phénomène particulièrement difficile. On l’a vu avec les maigres résultats de la loi « consommation ».

Un cercle vicieux
Si on prend l’exemple que je connais bien des ordinateurs grand public, ces derniers sont de mauvaise qualité. Les fabricants y ont intérêt pour rester compétitifs. Cette mauvaise qualité raccourci la durée de vie de l’équipement. La durée de garantie est donc raccourci d’autant (proportionnellement) car sinon, le coût du SAV se répercute sur le prix de vente. De toutes façons, pour continuer à faire des bénéfices, les éditeurs sortent régulièrement de nouvelles versions de leurs logiciels, toujours plus gourmandes en puissance informatique. Si bien qu’il faut changer d’équipement, même s’il fonctionne parfaitement, pour installer le nouveau logiciel.

Dans d’autres domaines, la hausse continue du coût de la main d’oeuvre en occident (comparée à l’Asie) se traduit par un coût rédhibitoire des réparations. Et quand ce n’est pas le cas, l’organisation d’une pénurie de pièces détachées et leur coût exorbitant achèvent de décourager les plus motivés. Quand l’appareil n’est tout simplement pas conçu pour être réparable ou « upgradable ». Je pense ici aux batteries soudées des smartphones et des tablettes.

Je pourrais continuer cette liste encore longtemps… La leçon intéressante de cette démonstration est que l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur s’engagent les uns les autres dans une course sans fin au renouvellement. Chaque action accélère et renforce ce cercle vicieux.

Recréer de la confiance
Pour sortir de ce cercle vicieux et mettre en route un cercle vertueux, il faut se concentrer à nouveau sur les fondamentaux : le besoin client, la création d’emploi, le modèle économique de l’entreprise, le coût de revient global plutôt que le coût d’achat, etc. On s’aperçoit alors qu’il est parfois possible de glisser vers l’économie de fonctionnalité et / ou vers un modèle économique basé sur la durabilité (la Mercedes que l’on garde toute sa vie).

La véritable difficulté pour les fabricants et pour leurs distributeurs est de récréer une relation de confiance avec le consommateur. Très peu de marques sont encore un gage fiable de qualité et de durabilité. La souscription d’une assurance complémentaire (vol, bris, etc.) et / ou d’une extension de garantie ne protège que trop rarement le consommateur qui la souscrit tant les exceptions à l’application du contrat sont nombreuses.

Je ne vais pas continuer cette liste à la Prévert car je pense que vous avez déjà compris où je veux en venir : pour relancer ce cercle vertueux, créateur d’emplois non délocalisables, et aux impacts environnementaux plus faibles, il faut absolument activer plusieurs leviers clés en même temps, notamment ceux permettant de reconstruire une relation de confiance entre le vendeur et l’acheteur.

Loi consommation : une belle occasion manquée
La loi consommation devait rétablir cette confiance. Nous sommes malheureusement passés complètement à côté. Les consommateurs n’attendaient pourtant pas grand chose : la certitude qu’un appareil garanti légalement 2 ans en Europe serait réparé pendant cette période. Ca, nous l’avons obtenu. Mais c’est la seule avancée significative.

Le rétablissement de la confiance n’est pas pour demain. Rien ne garantit qu’un équipement dit « réparable » pourra effectivement être réparé, à un coût raisonnable. Rien ne garantit que la durée de vie affichée sera respectée, qu’un produit « made in France » est bien conçu et fabriqué en France, etc. Bref, que les engagements du fabricant et de ses distributeurs seront tenus.

Dommage. Car les consommateurs ont du bon sens. Ils savent parfaitement compter. Et ne sont pas insensibles à l’avenir de leurs enfants et de la planète. Il semble que seuls les politiques, de gauche comme de droite, soient totalement déconnectés des aspirations des citoyens. Pas étonnant, dans ces conditions, que leur durée de vie se raccourcisse elle aussi.

Source : GreenIT.fr

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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