Catégorie : Bonnes Pratiques

De l’obsolescence programmée à l’obsolescence perçue : comment peut-on lutter ?

L’obsolescence programmée des matériels électroniques est un phénomène bien connu. De plus en plus dénoncée par leurs utilisateurs. Mais les mécanismes qui la sous-tendent ne sont pas toujours élucidés, rendant facile la confusion entre réalité matérielle et simple perception. Comment lutter contre ce fléau qui cause des dégâts majeurs à l’environnement et aux hommes ?

Au préalable, dressons un état des lieux de la situation.

Les matériels électroniques consomment de très grandes quantités de matières premières non renouvelables comme les métaux, mais aussi beaucoup de pétrole. L’épuisement des ressources naturelles est aujourd’hui un sujet très préoccupant. L’OCDE a estimé que les réserves de cuivre, plomb, nickel, argent, étain et zinc ne dépasseraient pas 30 années, l’aluminium et le fer se situant entre 60 et 80 ans. Outre les impacts directs sur la biodiversité, cette surconsommation de matières premières a des conséquences humaines et sanitaires désastreuses sur les populations locales. Elle contribue aussi largement au réchauffement climatique. Et il n’est pas exclu qu’elle devienne à l’avenir le lit de tensions géopolitiques, comme c’est déjà le cas au Congo avec le coltan.
 
La question des DEEE reste une préoccupation majeure tant du point social qu’environnemental. Des millions de tonnes de déchets toxiques finissent leur vie accumulés dans des décharges sauvages des pays du Sud. Au préalable, ils ont été démantelés de façon rudimentaire, souvent par des enfants, pour y récupérer les métaux précieux. Le dernier billet de GreenIT.fr sur ce sujet relate qu’en 2008, seulement 30% des DEEE avaient été traités via une filière adaptée.  A peine croyable. Sans compter que  les filières de recyclage des DEEE doivent gagner en efficacité : à la fois pour optimiser le taux de réemploi et de recyclage des composants (comme les plastiques), mais aussi pour améliorer le traitement des pollutions induites par ces opérations.

Une question basique se pose alors : pourquoi consommons-nous autant de matériels électroniques ?

La consommation de masse d’appareils électriques et électroniques a commencé au début des trente glorieuses, où elle a été encouragée à grands renforts de publicité pour doper l’économie au sortir de la guerre. A l’époque, l’idée paraissait judicieuse car personne n’avait en tête la finitude de notre planète. Puis dans les années 1990 est apparu le boom des TIC avec internet et la téléphonie mobile. On ne se souciait toujours pas de la limite des ressources, pas plus que de l’augmentation des déchets. Mais aujourd’hui, alors que les dégâts causés par l’explosion de cette consommation sont connus, on continue à renouveler toujours autant nos matériels.
Si, au final, les habitudes persistent, tel le « business as usual », c’est parce que les causes de cette obsolescence programmée sont nombreuses et difficiles à traiter :
• La recherche continue de baisse des coûts entraîne une baisse de qualité et donc une plus grande fragilité des matériels
• La difficulté à faire réparer : la complexité croissante des matériels et le manque de pièces détachées rendent les réparations de plus en plus difficiles
• La rentabilité économique de la réparation est souvent questionnable, au vu des faibles coûts d’achat du matériel neuf
• Le cercle vicieux de la course à la puissance : entre l’augmentation régulière de la puissance des ordinateurs (« acquittée » par la célèbre loi de Moore) et la course à la puissance des logiciels, c’est l’histoire de la poule et de l’œuf … A titre d’exemple, Windows 7 + Office 2010 Pro nécessitent 15 fois plus de puissance processeur, 71 fois plus de mémoire vive et 47 fois plus d’espace disque que le couple Windows 97 + Office 97
• Les fabricants et les distributeurs s’en portent bien, et cela fait beaucoup d’heureux dans une économie où le seul indicateur de croissance reste le PIB
• Plus récemment, on voit apparaître l’argument écologique de produits moins énergivores ; si cela est tout à fait vrai, il faut toutefois rappeler que l’énergie grise d’un matériel électronique est à l’origine de la majeure partie des émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie
• Aucun matériel n’affiche sa durée de vie théorique, laissant ainsi planer le doute sur un sujet quasi-tabou chez les fabricants ; seule une réglementation telle que l’affichage environnemental pourrait imposer cet affichage
• Enfin, l’attrait pour la nouveauté, alimenté par l’innovation, conduit très souvent à remplacer un matériel en parfait état de marche. On est là dans la perception d’obsolescence. Le cas est flagrant pour les téléphones mobiles qui sont remplacés en moyenne au bout de 20 mois, et au bout de 10 mois seulement chez les 12-17 ans.

Si vous ne connaissez pas encore la vidéo « The Story of Stuff », apparue sur internet fin 2007, et qui a fait le tour de la planète, c’est le moment de la découvrir. L’auteure, Annie Leonard, y dénonce le « Designed for the Dump »  (conçu pour la poubelle) des objets de grande consommation. Elle décortique avec une précision horlogère et beaucoup d’humour les aberrations qui se produisent tout  au long du cycle de vie de nos objets du quotidien. Elle constate aussi que les prix très bas ne reflètent pas la réalité car les coûts sont externalisés. Cette vidéo a depuis été déclinée en plusieurs versions thématiques, comme la bouteille d’eau en plastique ou  les matériels électroniques. Et c’est toujours aussi drôle.

Venons-en maintenant à la question du comment faire pour sortir de cette impasse et aller vers un modèle plus soutenable ? Au-delà des entreprises et des pouvoirs publics qui ont un rôle considérable à jouer, chaque citoyen peut y contribuer. Nous vous proposons quelques pistes, et comptons sur vos contributions pour enrichir ces propositions.

• Diminuer la perception de bien-être et de satisfaction personnelle que procure l’acquisition d’un nouveau matériel, en privilégiant des valeurs spirituelles plutôt que matérielles. Culture, convivialité, solidarité, … Cela peut sembler désuet ou révolutionnaire, mais tous ceux qui ont essayé n’ont pas fait de retour arrière ! L’idée est de « consommer mieux sans frustration ».
• Privilégier la qualité plutôt que le faible coût, équation gagnante pour l’acheteur comme pour la planète sur le long-terme.
• Passer d’une valeur de possession à une valeur d’usage, principe de base de l’économie de fonctionnalité.
• Prendre conscience de l’impact écologique insoutenable des modes de consommations des pays développés. Et rappeler que si tous les humains vivaient comme un habitant d’Europe de l’Ouest, il faudrait 2,5 planètes pour répondre à la demande, et 5 si l’on souhaite « vivre à l’américaine ».
• Accepter de bon gré une légère diminution des performances. Ce qui revient peut-être à sacrifier quelques minutes dans une journée, mais pour contribuer à un monde meilleur pour nos enfants et petits-enfants.

D’autres suggestions ? Des commentaires ?

Sources :
•    « L’obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage » rapport rédigé par Les Amis de la Terre et le CNIID (Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets) : http://www.cniid.org/espace_telechargement/actualite/201009_rapport_OP_AdT_Cniid.pdf
•    http://storyofstuff.org/ 
 

 

Christiane Saint Gratien