Catégorie : Constructeur

Emeutes chez Wistron : un révélateur de problèmes systémiques ?

Inde. Face à la dégradation catastrophique de leurs conditions de travail, les ouvriers de Wistron, un sous-traitant d’Apple, ont mis à sac l’usine dans laquelle ils travaillent. Un révélateur des problèmes systémiques de cette industrie ?

Il leur faut parfois deux heures de trajet pour arriver à l’usine avant de commencer un quart de 12 heures chez  Wistron, entreprise taïwanaise fournisseur d’Apple dans l’Etat de Karnataka au sud de l’Inde. Sur les 14 000 ouvrier.e.s qui travaillent dans cette usine, plus de 90 % seraient des intérimaires, très  jeunes, appartenant souvent au groupe des Dalit (Intouchables).1)

Depuis la fin de l’année 2020, ils se plaignent de salaires payés en retard, ou bien inférieurs à ceux qui ont été promis, et quant aux heures supplémentaires, le plus souvent, elles n’auraient pas été payées…

Les syndicats n’existant pas dans l’usine, les ouvrier.e.s n’obtenant pas de réponse des agences intérimaires, du management de l’usine ni de l’administration locale, l’usine est mise à sac le 12 décembre dernier. Ce cas reflète les violations fréquentes des droits des ouvrier.e.s dans la chaîne d’approvisionnements de l’industrie électronique.

Un système reposant sur la précarisation

Des ouvrières interviewées par une ONG locale expliquent ainsi : Les usines « ont juste besoin de main d’œuvre pour faire tourner leurs machines. C’est tout. La personne doit travailler pendant un an, puis partir. Parce que si elle continue à travailler, ils (le service RH) doivent en faire un employé permanent, et l’entreprise doit lui fournir divers avantages, et elle doit dépenser beaucoup d’argent pour cela. Les ouvrier.e.s intérimaires, en revanche, ne bénéficient d’aucun avantage. Pas même d’un congé ou d’une prime.”

Le recours systématique aux agences d’intérim, parfois  la régression du maigre droit du travail, l’absence de syndicats, ne permettent pas aux ouvrier.e.s de défendre leurs droits. Sans compter les mesures prises par les autorités locales : en juillet 2020, le gouvernement du Karnataka a décidé de modifier les règles afin de faciliter les affaires dans l’État. L’une des nouvelles règles stipule qu’il n’y aura plus d’inspections surprises dans les usines de fabrication, car le gouvernement informera les entreprises avant ces inspections….

Licenciement en cas de questionnement des méthodes de management

Une autre ouvrière d’une usine d’électronique explique ainsi : “Si nous posons la moindre question, ils nous demandent de quitter l’entreprise. Ils ont récemment licencié six employés permanents parce qu’ils avaient soulevé des questions. Ils les ont licenciés sans préavis ni information. Ils ont même donné un préavis aux ouvrier.e.s qui sont allés parler à la direction pour soutenir ceux qui ont été licenciés. À cause de cela, les ouvrier.e.s ont peur. Nous devons écouter tout ce que dit la direction”.

Des enquêtes ultérieures menées par le gouvernement ont mis en évidence de graves irrégularités de la part de Wistron et des agences d’intérim, accusés d’avoir retardé et  de s’être approprié les salaires des ouvrier.e.s, ce qui a finalement mené à la violence. La violence n’est pas une solution et nous ne la soutenons pas. Mais elle est parfois le dernier recours pour faire entendre sa voix. Apple dit prendre les problèmes ayant eu lieu chez Winstron très au sérieux. Reste à savoir si la voix des ouvrier.e.s sera entendue et prise en compte lors des audits programmés…

Article écrit par Aneesh Manjunath et Brigitte Demeure

Pour en savoir plus : https://electronicswatch.org/en/webinars_2543160

1) La caste des Intouchables n’existe plus officiellement en Inde depuis l’indépendance, mais la pratique existe encore dans les régions reculées.

Brigitte Demeure