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Covid Non Stop : outils numériques à contre sens ?

Le 20 octobre dernier, le Conseil scientifique covid-19 – instance officialisée par le décret du 3 avril 2020 – était saisi par le Gouvernement d’une demande d’avis [1]  sur la promotion d’un nouvel ensemble numérique composé de trois services visant à lutter contre l’épidémie :

  • tester,
  • tracer,
  • isoler.

Cet avis se penche sur les garanties en matière de respect de la vie privée, d’anonymat et de protection des données personnelles, sur les caractéristiques du dispositif, sur la place de l’application StopCovid dans le dispositif de prévention et sur la campagne de communication qu’il conviendrait de lancer.

La logique avec laquelle s’exprime la promotion de cet ensemble numérique correspond à celle du modèle comportemental standard attribué aux utilisateurs d’applications. L’influence sur les utilisateurs du contexte anxiogène qui est à la source du développement de StopCovid n’est pas évoquée alors que la finalité de l’hyperconnexion envisagée est à contre courant des habitudes : isoler plutôt que rassembler. La prise en compte de cette différence contribuerait à un meilleur développement et à une utilisation plus satisfaisante, économe et sobre.

Selon le Conseil scientifique, il est indispensable de déployer avec efficacité et diligence un ensemble numérique complet, comprenant notamment les trois fonctionnalités :

  • Stop Covid,
  • Dépistage Covid
  • et Mes Conseils Covid.

Un outil encore difficile à installer et à prendre en main

Il fait le constat que comprendre comment installer et faire fonctionner l’application Stop Covid n’est jusqu’à présent pas simple, notamment dans un contexte social où l’inclusion numérique reste un enjeu. Le Conseil scientifique suggère que ces éléments peuvent en partie expliquer le faible nombre de téléchargements, estimé à 2,7 millions, ainsi que le faible nombre d’utilisateurs estimé entre 1,6 et 1,9 millions, sans avoir la connaissance de la fraction d’utilisateurs qui activent effectivement l’application.

Une autre partie de l’explication peut venir de la logique même de conception de ce type d’outils où le fossé entre l’utilisation imaginée et la pratique réelle est grand et engendre des fonctionnalités plus nombreuses que de besoin, une utilisation destinée à nourrir des multiples acteurs, une communication mettant en valeur la personnalisation alors qu’il s’agit surtout de standardisation, etc.

La promotion par les utilisateurs ne fonctionne pas

Même si d’une manière générale, les retours d’expérience d’utilisation d’outils numériques en situations de crise en France sont très limités, il est à noter que l’application StopCovid n’est pas issue d’une initiative – ni d’une demande – de la société civile. Contrairement à d’autres applications qui peuvent être abondamment relayées et conseillées entre utilisateurs, celles liées au Covid-19 ne l’ont pas été.

A ce titre il est intéressant de remarquer que le Conseil scientifique fait une corrélation entre la prise de parole d’une autorité politique de haut niveau faisant la promotion de l’application et la hausse de téléchargements. Les utilisateurs n’ont pas mis en place d’eux-mêmes un encouragement à l’utilisation alors qu’ils le font pour d’autres applications.

Des biais cognitifs

Il est également possible d’observer deux décalages importants, propres aux univers numériques et liés tous les deux au décalage immatériel-matériel. Le premier est provoqué par la grande rapidité numérique pour pister les cas contacts et la lenteur physique pour les dépister.

Le deuxième est une confusion entraînée par la présentation de l’application StopCovid comme faisant partie des mesures « barrière », alors qu’une application n’est pas du même ordre que les mesures barrière physiques.

L’avis en question ne fait pas mention des effets pervers potentiels de ce type d’applications, comme par exemple : un sentiment de sécurité infondé si un utilisateur ne reçoit pas d’alerte car l’absence d’alerte ne signifie pas l’absence de contact car toute la population est loin d’avoir téléchargé l’application et de la mettre en service ; pour les populations particulièrement en contact avec le public, il est difficile de gérer la masse d’alertes dont ils sont potentiellement destinataires…

Une application trop silencieuse dans une économie de l’attention ?

Le Conseil scientifique rappelle que « l’application StopCovid dans sa version actuelle reste silencieuse et n’interagit pas avec l’utilisateur, ce qui va à l’encontre du modèle économique et comportemental des applications mobiles consistant à capter l’attention de l’utilisateur qui s’y est habitué ».

Cette remarque ne tient pas compte du fait que l’application est indissociable de l’épidémie qui l’a faite naître et que les utilisateurs ne souhaitent probablement pas en faire une utilisation selon les mêmes modalités que les autres applications du marché. Les dimensions symboliques et affectives liées à l’utilisation de StopCovid ne semblent pas être prises en compte.

Au sujet de la captation de l’attention, le Conseil Scientifique aurait pu considérer les travaux de recherche sur le design de l’attention et ses effets pervers dont le manque de concentration des utilisateurs et le fait de les rendre plus dépendants sont un exemple.

Finalement, une prolifération d’applications alternatives

L’épidémie aura contribué à la mise en place d’une profusion d’applications dans une tentative de pallier à l’absence de contacts réels par une hyperconnexion virtuelle.

La question de leur maintenance et de leur utilité après l’épidémie se pose à tous les niveaux. La question de la restauration des liens sociaux se pose aussi, invitant d’une part à une réflexion sur la conception d’applications dans différents contextes de crise et, d’autre part, à un changement de paradigme afin que les outils numériques ne confondent plus le lien social et la connexion numérique.

[1] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_20_octobre_2020.pdf (1,2 Mo)

Angela Minzoni

Docteur en anthropologie, Angela Minzoni exerce le métier de « conseiller de synthèse » afin de faciliter les démarches de prospective et d’innovation par le design, dès l’amont, au moment de choisir les orientations sociales et technologiques d’une organisation, d’un produit ou d’un service.