Catégorie : Bonnes Pratiques

Les 5 promesses des TIC passées à la loupe

L’Association Information et Management (AIM) a organisé cette année son 15ième colloque sur la thématique : « Systèmes d’Information et Développement Durable : regards croisés et contributions ». GreenIT.fr était présent et vous présente une vingtaine des nombreux travaux de recherche exposés.

Thème du jour : les 5 mauvaises hypothèses des TIC pour contribuer à un monde plus respectueux de l’environnement de Florence RODHAIN et Bernard FALLERY.


La mauvaise hypothèse du « zéro papier »

Existe-t-il certains effets de substitution des T.I.C. au papier ? Moktharian (2003) répond positivement à cette question. Oui, il existe des situations dans lesquelles les TIC viennent remplacer le papier. Par exemple lorsque les documents sont envoyés par courriel plutôt que par le courrier traditionnel qui nécessite l’impression et la photocopie. S’il existe bel et bien un effet de substitution, comment expliquer alors la consommation accrue de papier ? Parce que ces effets sont marginaux par rapport aux possibilités d’impression accrues par l’usage des T.I.C. (Moktharian 2003). En effet les T.I.C. facilitent l’accès à des milliards de documents sur Internet, cet accès induit alors une forte augmentation des impressions par les utilisateurs finaux.

La mauvaise hypothèse de la substitution pour les déplacements

Mokhtarian (2003) nous rappelle que de tout temps, l’émergence d’une nouvelle technologie de télécommunication a suscité l’idée qu’elle allait se substituer à un transport. En 1876 était inventé le téléphone. Il n’a pas fallu longtemps avant que l’on suggère que cette invention puisse éliminer les voyages : le 10 mai 1879, dans un éditorial du Times, l’idée était déjà avancée que le téléphone allait soulager les managers en leur évitant des déplacements… L’utilisation des télécommunications par une personne à un moment donné ne signifie pas nécessairement l’élimination d’un voyage, car sans les télécommunications l’activité n’aurait tout simplement peut-être jamais eu lieu, c’est ce que Moktharian (2003) nomme un effet « neutre ». Par exemple la personne impliquée dans une téléconférence ne se serait de toute façon peut-être jamais déplacée, ou bien chaque achat impulsif effectué sur le Web n’aurait peut-être jamais conduit à un déplacement dans un magasin. Il existe au contraire des effets de « complémentarité », lorsque l’utilisation d’un mode de communication conduit à accroître un autre mode. Un appel téléphonique peut parfois remplacer un voyage, mais plus de communications engendre plus d’activités et plus d’interactions, impliquant un nombre plus important de voyages.

La mauvaise hypothèse de l’effet du commerce électronique sur les transports

Quelques études techniques, en particulier dans le domaine de l’Ecologie Industrielle, ont été publiées sur la question du commerce électronique. Matthews et al. (2001) se sont intéressés à la vente de livres aux Etats-Unis et ont comparé le système traditionnel au commerce électronique. Un des résultats majeurs de leur analyse est qu’il existe bien certaines économies énergétiques liées à la suppression des trajets pour se rendre à la librairie, mais que ces économies sont largement compensées par l’acheminement des livres par voie aérienne. Ces résultats semblaient montrer un seul cas où le commerce électronique est moins consommateur d’énergie que le commerce traditionnel : lorsque les consommateurs résident dans des zones rurales qui nécessitent un déplacement important lors de l’achat. Mais en revanche une perte énergétique très importante est induite par le packaging (bien plus coûteux que pour le commerce traditionnel : les livres sont emballés en petite quantité et nécessitent la production d’un emballage épais et solide).

La mauvaise hypothèse d’une faible consommation électrique et d’une faible empreinte carbone

Au niveau du bilan carbone, le rapport « TIC et Développement durable » (Breuil et al. 2008) estime, avec une marge d’erreur de 30%, que les TIC contribuent globalement à 5% de la production de CO² en France (sans compter l’empreinte de production des matériels électroniques, puisqu’ils sont pour la plupart importés). En raison de la production nucléaire de l’électricité consommée, on notera que ce pourcentage de 5% est considéré comme plus faible en France que dans les autres pays. Cette empreinte carbone du secteur TIC ne peut donc plus être considérée comme limitée au regard du poids des TIC dans le PIB (2,8% de l’emploi), bien qu’il soit difficile de donner des chiffres par secteur. A la suite des engagements du « Grenelle 2 », les entreprises de plus 500 employés devront réaliser leur Bilan Carbone et devront donc ajouter cette dimension dans leur système d’information. La double notation comptable va arriver bientôt, sous la forme de logiciels couplés aux ERP /PGI.

La mauvaise hypothèse sur les déchets des produits « immatériels »

L’industrie informatique s’est toujours présentée comme une industrie de l’immatériel, du savoir, de la connaissance… jusqu’à la prise de conscience des nombreuses externalités liées à son activité. Parmi ces externalités, l’accumulation des déchets est devenue un enjeu considérable. Loin d’être des produits « immatériels », les T.I.C. sont bel et bien des produits qui génèrent de la pollution dans toute leur phase de vie. Les groupes environnementaux tels que Greenpeace ont fait la Une dernièrement, réprimandant les fabricants d’appareils électroniques en général, et Apple en particulier (arsenic et mercure dans la fabrication des écrans des Mac, plastique chloré et retardateurs de flamme bromés dans le téléphone mobile iPhone…). L’impact négatif de tels documents auprès des consommateurs est maintenant pris au sérieux. Il incite les entreprises à explorer le marché du « Green IT », il incite les gouvernements au soutien de projets scientifiques et à l’adoption d’une réglementation « verte ». En France cette réglementation se découpe en deux volets. Le premier s’inscrit dans la directive ROHS. Pour le second volet, depuis le 13 août 2005, les entreprises, comme les usagers privés, ne peuvent plus abandonner les DEEE en décharge.

Conclusion de cette analyse : aucune donnée ne permet de montrer que les T.I.C. contribueraient à créer un monde plus respectueux de l’environnement. Dans les faits, les espoirs liés au « Zéro papier », au « Zéro déplacement », à l’efficacité du commerce électronique, à la consommation réduite d’électricité et au « Zéro déchet » s’avèrent aujourd’hui infondés.

Morceaux choisis (avec accord des auteurs) de l’article : Après la prise de conscience écologique, les T.I.C. en quête de responsabilité sociale. Florence RODHAIN / Maître de Conférences HDR CREGOR – Ecole Polytechnique Universitaire de Montpellier et Bernard FALLERY Professeur CREGOR – Ecole Polytechnique Universitaire de Montpellier

Article complet : http://www.cregor.net/membres/fallery/travaux/pdfs/C-Documents%20and%20Settings-Flo-Mes%20documents-Bernard-Travaux-2010%20AIM%20Rodhain%20Fallery%20.pdf

Frederique