Catégorie : Acteurs

Uptime Institute Symposium 2010 : La consommation électrique des centres de données dans le collimateur

Article initialement publié sur http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/63618.htm et reproduit avec autorisation.

L’édition 2010 du congrès de l’Uptime Institute [1] s’est déroulée du 17 au 19 mai dernier à New York. Cet évènement majeur pour l’industrie des centres de données a rassemblé 1800 participants en provenance de 42 pays. Les personnalités les plus reconnues de ce secteur étaient présentes : on peut citer par exemple Jonathan G. Koomey [2], chercheur spécialisé dans les questions énergétiques dans le secteur des TIC, ou encore Paolo Bertoldi, administrateur principal à la Commission européenne et rédacteur du code de conduite européen pour les centres de données.

Présentation de l’organisme organisateur

L’Uptime Institute [3] est un Think Tank créé à l’initiative de plusieurs acteurs du secteur des centres de données (gérants, entreprise de conception, de construction de centres de données). Cette organisation est notamment connue pour avoir introduit le système de classification des centres de données en fonction de leur niveau de fiabilité ("Tiers I à IV").

Un rendez-vous annuel centré sur la réduction de la consommation énergétique des centres de données

Organisé depuis 2008, ce congrès annuel est dédié aux problématiques de développement durable et plus particulièrement à la réduction de la consommation d’énergie des centres de données. Les sujets abordés durant les sessions étaient divers :

– Optimisation de l’infrastructure du centre de données: En moyenne, les infrastructures (qui comprennent le système de refroidissement et les équipements qui assurent l’alimentation électrique) consomment autant d’énergie que les serveurs hébergés dans le centre de données. De nombreuses sessions étaient donc dédiées à ce sujet et proposaient des solutions et des bonnes pratiques pour réduire cette dépense énergétique. De nombreux échanges ont aussi eu lieu sur l’outil de mesure permettant d’évaluer l’efficience énergétique d’un centre de données. Le plus utilisé est actuellement le PUE [4], mais de l’avis de tous, celui-ci est encore largement insuffisant pour évaluer l’efficience énergétique globale d’un centre de données.

– Optimisation du taux d’utilisation des serveurs : la plupart des intervenants ont convenu que les ressources informatiques disponibles dans les centres de données sont actuellement largement sous-exploitées : le taux de charge de travail moyen des serveurs serait de 20% [5]. Pour remédier à cela, la virtualisation ou encore un meilleur dimensionnement des ressources matérielles par rapport aux besoins, ont été évoqués.

– Réduction de la consommation électrique des serveurs : même avec un taux de charge optimisé, les serveurs ont de nombreuses périodes d’inactivité. En effet, selon une étude, en moyenne 15% des serveurs travaillent inutilement [6]. Des sessions étaient donc dédiées à cette problématique et ont mené à la discussion de nombreuses solutions logicielles (Mobius [7], Veridity [8]). Ces dernières permettent d’avoir une vision précise de l’activité des serveurs, de leur consommation électrique et de s’assurer que ceux-ci fournissent bien un travail utile à l’organisation. On peut citer également la solution de la toute nouvelle startup ComSleep [9] qui permet de mettre en veille les serveurs inactifs tout en maintenant leur présence sur le réseau.

Enfin, sur l’aspect matériel, Albert Esser, ex Vice-président Power and Infrastructure Solutions chez Dell, a proposé de réduire le cycle de renouvellement des serveurs, les nouvelles générations étant toujours plus efficientes que les anciennes [10]. A titre d’exemple, le fabricant Intel présentait sur son stand ses nouveaux processeurs dotés de technologies permettant de moduler la fréquence et d’éteindre des coeurs ("cores") de manière dynamique afin de réduire la consommation du serveur au repos. Cependant, cet argument peut paraître beaucoup plus économique qu’environnemental à moins qu’il ne soit accompagné d’une analyse de cycle de vie complète du matériel (voir paragraphe "Une approche avant tout économique").

– Problématiques organisationnelles : dans de très nombreuses organisations, le département informatique qui gère le centre de données ne paye pas la consommation électrique de ses installations. La facture est le plus souvent réglée par le département "gestion des bâtiments" (Facility Management). La priorité du département informatique étant de garantir le meilleur taux de disponibilité de ses services, il n’est absolument pas incité à optimiser la consommation énergétique des équipements informatiques. Cette question a été abordée à de nombreuses reprises durant le congrès et a été identifiée comme l’une des raisons principales de l’énorme gâchis énergétique constaté dans les centres de données.

– Menace de la régulation : plusieurs intervenants ont abordé ce sujet notamment Michael Manos [11], Vice-président des opérations de service chez Nokia, qui est allé jusqu’à parler d’un CO2k (en référence au Y2K [12], le bug de l’an 2000), pour évoquer l’ampleur de l’effort que l’industrie des technologies de l’information aura à fournir pour s’adapter à l’arrivée imminente de la législation carbone. L’exemple de la taxe carbone en Angleterre [13] et son impact sur les opérateurs de centre de données a été abordé à de nombreuses reprises, de même que la mise en place du marché carbone aux Etats-Unis [14].

– Les avantages environnementaux du "Cloud Computing" : tendance forte de ces derniers mois [15], le Cloud Computing [16], selon Jonathan G. Koomey2, présente aussi des avantages en termes d’efficacité énergétique:
    – Diversité: l’étalement des charges de calcul en provenance d’un grand nombre d’utilisateurs sur plusieurs fuseaux horaires permet d’améliorer le taux d’utilisation du matériel.

    – Mutualisation / Economies d’échelle: les coûts fixes du centre de données étant réparties sur un plus grand nombre de serveurs et d’utilisateurs, le traitement informatique est moins cher dans un grand centre de données que dans un petit.

    – Flexibilité/fiabilité: si la couche logicielle permet de contourner une panne matérielle, il n’est alors plus nécessaire d’acheter deux blocs d’alimentations pour chaque serveur. Les ressources de n’importe quel autre serveur dans le nuage pourront être allouées pour prendre le relais.

Une approche avant tout économique et à court terme : un sentiment de greenwashing [17]

Même si l’évènement était ouvertement orienté sur l’efficience énergétique (Data Center Efficiency), le deuxième volet ("entreprise green IT" ou l’informatique "verte" au sein des entreprises) a par contre été éludé.

Par exemple, le problème des déchets électroniques et de leur gestion n’a pas été évoqué durant les trois jours. En dépit des nombreuses alertes lancées par l’Agence de Protection de l’Environnement, qui indique dans son dernier rapport [18] qu’aux Etats Unis, 82% des déchets électroniques finissent à la décharge sans aucun traitement, un seul et unique stand dans l’espace exposition était tenu par une société de gestion des déchets électroniques. Electraworldwide était donc le seul acteur de son domaine sur ce salon.

Par ailleurs, certaines propositions, comme le renouvellement plus fréquent du matériel afin de profiter plus rapidement des avancées technologiques en termes d’économie d’énergie, manquaient d’argumentation sur le gain en terme d’impact environnemental. En effet, les quelques analyses de cycle de vie réalisées sur des équipements informatiques tendent à indiquer que la production du matériel est la phase ayant le plus d’impact sur l’environnement [19] en plus d’une gestion encore très insuffisante des déchets électroniques.

En revanche, de nombreux intervenants ont souligné le retour sur investissement très rapide des projets qui permettent d’économiser de l’énergie, ce qui les rend attractifs et faciles à vendre auprès du département financier de l’organisation.

—————————————————————————————————————

Pour en savoir plus, contacts :

– [4] Power Usage Effectiveness : unité de mesure introduite par le consortium Green Grid qui permet de mesurer l’efficience énergétique de l’infrastructure matérielle d’un centre de données. Un PUE de 2 signifie que le refroidissement et l’alimentation électrique des serveurs consomment autant que les serveurs eux-mêmes. Le minimum théorique du PUE est donc 1. Voir ce document pour plus d’information : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/mkoPx
– [7] Site de la société Mobius : http://www.mobiuspartners.com
– [8] Site de la société Veridity : http://www.viridity.com/
– [9] Site web de ComSleep : http://www.comsleep.com
– [11] Biographie de Michael Manos : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/f4ujp
– [12] Wikipedia – Y2K, passage de l’informatique à l’an 2000 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Passage_informatique_ˆ_l’an_2000
– [13] Article BE – Analyse de la loi Britannique sur le changement climatique – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58615.htm
– [14] Article BE – Le sénat s’attaque à la régulation des GES : http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/63407.htm
– [15] Voir nos différents articles sur le sujet : http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/60527.htm ; http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/61882.htm; http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/60446.htm
– [16] Définition Wikipedia du Cloud Computing : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cloud_computing
– [17] Le greenwashing dans le domaine des TIC : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/QL7R5

Sources :

– [1] Site web de l’évènement : http://symposium.uptimeinstitute.com/
– [2] Site web de Jonathan G. Koomey : http://www.koomey.com
– [3] Site web de l’Uptime Institute : http://uptimeinstitute.org/
– [5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Green_computing#cite_note-6
– [6] Server Energy and Efficiency Report 2009, 1E et Alliance to Save Energy : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/p17ZG
– [10] Etude "Assessing trends in the electrical efficiency of computation over time", Jonathan G. Koomey et al. : http://download.intel.com/pressroom/pdf/computertrendsrelease.pdf
– [18] Agence de Protection de l’Environnement (EPA) : http://www.epa.gov/wastes/conserve/materials/ecycling/manage.htm
– [19] Synthèse d ‘Analyses de Cycle de Vie sur EcoInfo.cnrs.org : http://www.ecoinfo.cnrs.fr/spip.php?article161

FLohier

Avec une Licence en poche et après plusieurs expériences professionnelles dans le domaine technique, j’ai obtenu un Master 2 Management et Technologies de l’Information à l’IAE d’Aix en Provence. Je suis actuellement attaché adjoint pour la Science et les Technologies de l’Information et de la Communication (STIC) à l’Ambassade de France à Washington DC. Par ailleurs, je suis depuis toujours un fervent pratiquant de cyclisme, sport qui sensibilise à la consommation d’énergie et à l’environnement. Très curieux de nature et avide d’informations, j’essaye de vous faire partager ici mes réflexions et ce qui ressort de ma veille technologique surle Green IT.

Site web