Catégorie : Bonnes Pratiques

Les internautes consomment 450 à 900 fois plus d’énergie que les data centers

[Les résultats proposés dans cet article ont donné lieu à de nombreux commentaires. Il faut les prendre avec précaution car c’est une ébauche d’analyse et non un résultat trempé dans le marbre.]

Contrairement à la croyance populaire, la consommation électrique et les émissions de gaz à effet de serre des centres informatiques sont très faibles comparées à celles des ordinateurs des internautes qui s’y connectent. Démonstration.

Trois facteurs à prendre en compte
Trois facteurs influencent directement le rapport de la consommation électrique entre les serveurs et les ordinateurs des internautes :
1. la consommation électrique intrinsèque du matériel,
2. le rapport entre le nombre d’utilisateurs et de serveurs,
3. le temps nécessaire pour délivrer la page (temps passé par le serveur à générer la page et par le réseau à l’acheminer jusque chez l’internaute) et le temps passé par l’utilisateur à interagir avec cette page.

Pour le premier point, les ordinateurs des internautes consomment, en valeur absolue, de l’ordre de 50 à 100 fois moins d’électricité que les serveurs (30 Wh/h pour un ordinateur portable contre 300 Wh/h pour un petit serveur). En valeur relative, les serveurs sont bien plus efficients que les ordinateurs des internautes. C’est à dire que les serveurs consomment moins d’énergie pour réaliser le même nombre de traitements informatiques que les ordinateurs des internautes.

Concernant le point 2, un seul serveur est généralement capable de répondre aux sollicitation de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’internautes. Le rapport est donc très défavorable pour les internautes qui « pèsent » bien plus lourds que les serveurs. Google sert par exemple 3 000 utilisateurs de GMail avec un seul serveur d’une puissance de 450 Watts.

Enfin, pour le troisième point (facteur temps) est essentiel. L’internaute passe plus de temps à lire une page ou interagir avec (écriture d’un e-mail par exemple) que le serveur à la générer. D’autant plus si l’on prend en compte les différents caches (navigateur, CDN, reverse-proxy, etc.). Même en étant conservateur, on peut avancer qu’un internaute passe 10 à 100 fois plus de temps sur la page que le serveur à la générer.

Même sans réaliser de mesure précise, ces trois rapports démontrent que les ordinateurs des internautes consomment bien plus d’énergie que les serveurs web, pour une même unité fonctionnelle. Reste à savoir combien.

Dans les deux exemple qui suivent, nous allons vous démontrer que les ordinateurs des internautes consomment entre 300 et 900 fois plus d’énergie que les serveurs des data centers. Chaque données primaires (hypothèse) sera très conservatrice pour nous assurer que les résultats initiaux resteront plausibles même si nous les affinons plus tard.

Nous prenons comme unité fonctionnelle « une page web ». Nous étudierons le temps et la consommation électrique associées à :
– la génération et la livraison de cette page web chez l’internaute, dans son navigateur ;
– l’utilisation de cette page web (lecture d’article, écriture d’e-mail, etc.) par l’internaute.

Nous excluons les « cas à part », comme le fait par exemple, de regarder de la vidéo en ligne, d’écouter de la musique en ligne, de jouer en ligne.

GMail : 900 fois plus d’énergie consommée par les internautes

Google, nous explique qu’un seul de ses serveurs d’une puissance de 450 Watts est capable de servir 3 000 utilisateurs (pas en même temps). Cet ordre de grandeur est important car un webmail est assez proche de n’importe quelle application hébergée en ligne.

Sachant qu’un ordinateur portable (les plus vendus depuis quelques années) affiche une puissance de l’ordre de 15 à 30 Watts, on peut estimer, sans prendre de risque, que le rapport entre la puissance électrique d’un serveur et celle des ordinateurs des internautes qui s’y connectent est de l’ordre de 450 watts contre 45 000 watts (3 000 x 15 watts). Vous noterez que nous prenons l’hypothèse la plus conservatrice. En partant du principe que le serveur passe autant de temps pour générer la page web que l’internaute à lire ou écrire l’e-mail qui s’y affiche, on obtient un rapport de 1 à 100 en terme de consommation électrique. Autrement dit, les internautes consomment 100 fois plus d’énergie.

Quelques mesures empiriques, chronomètre en main, montre que la lecture d’un e-mail nécessite en moyenne 30 secondes, l’écriture 60 secondes, et la génération de la page 3 à 5 secondes. On obtient donc un rapport de 11 : (((30+60)/2)/((3+5)/2)) entre le temps de génération de la page et le temps de lecture. Autrement dit, les utilisateurs de GMail consomment de 1 100 (100 x 11) fois plus d’énergie que les serveurs de Google. Le PUE de Google, proche de 1,2 ne modifie pas significativement cet ordre de grandeur qui passe à 916. Au final, les internautes consomment 916 fois plus d’énergie que les serveurs de GMail.

GreenIT.fr : 450 fois plus d’énergie consommée par les internautes

Autre exemple, le serveur de GreenIT.fr consomme environ 450 Wh/h et peut accueillir jusqu’à 500 internautes en même temps. En reprenant la même hypothèse que pour Google, et toujours en se basant sur le postulat que notre serveur met autant de temps à générer une page que vous à la lire, le rapport entre la consommation électrique du serveur de GreenIT.fr et celle des ordinateurs de nos lecteurs est de l’ordre de 450 Watts contre 7 500 (500 x 15 Watts), soit un facteur 17.

Le temps moyen de lecture d’une page sur GreenIT.fr est de l’ordre de 125 secondes alors que sa génération et sa livraison dans le navigateur de l’internaute ne dépasse pas 3 secondes. Le rapport est donc plutôt de l’ordre de 41 (125 secondes / 3 secondes) x 17 = 697 ! En prenant un PUE de 1,5 pour le data center qui héberge notre serveur, les ordinateurs de nos lecteurs consomment 697 / 1,5 = env. 464 fois plus d’énergie que notre serveur. Cet ordre de grandeur paraît fiable au regard de celui calculé pour Google.

conclusion

A contre-sens des idées reçues, cette conclusion est importante à plusieurs titres. D’une part, elle ne permet plus aux internautes de rejeter leur responsabilité sur les fournisseurs du web. Les plus gros « pollueurs » sont bien les internautes, n’en déplaise à Greenpeace.

D’autre part, cette étude démontre que les arguments environnementaux des acteurs du cloud computing sont à la limite du greenwashing. Aucune étude sérieuse ne confirme l’impact positif du cloud computing sur l’environnement. Et quand bien même le cloud computing se montrerait plus vertueux qu’un hébergement en interne des applications, l’effet de levier environnemental est minime comparé aux actions à mener du côté des internautes.

Enfin, cette conclusion renforce l’idée essentielle, que nous défendons depuis bientôt 10 ans, que le geste clé du Green IT est l’allongement de la durée de vie active des équipements. Si l’on refaisait cette analyse en incluant l’énergie grise (notamment celle relative à la fabrication des serveurs et des ordinateurs des internautes), nous découvririons que le rapport reste largement en faveur des serveurs : la fabrication des serveurs émet moins de pollutions et épuise moins les stocks de ressources non renouvelables, en valeur absolue. Car un serveur suffit pour s’occuper de plusieurs centaines, voir plusieurs milliers d’internautes. Et, à moins de câbler la terre entière dans une logique peer-to-peer, ce rapport n’est pas prêt de changer car le web repose sur une architecture centralisée.

J’espère ne pas avoir fait d’erreur dans mes calculs. Comme d’habitude, nous attendons vos commentaires (constructifs) pour nous corriger et améliorer notre démonstration.

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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