Catégorie : Etude

Quels sont les impacts environnementaux et sanitaires de l’IA ?

En 2030, les impacts de l’intelligence artificielle sur l’environnement représenteront 62 % du budget annuel soutenable de l’Union européenne.

L’Intelligence Artificielle (IA) a débarqué dans nos vies personnelles et professionnelles à une vitesse fulgurante. Nous manquions jusqu’à présent de données pour évaluer ses impacts positifs et négatifs sur l’environnement, l’économie et la santé des populations.

C’est pourquoi nous publions aujourd’hui les résultats de la première Analyse du Cycle de Vie (ACV) multicritères évaluant l’ensemble des impacts environnementaux et sanitaires de l’intelligence artificielle (IA) dans le monde.

Périmètres étudiés et méthodologie

Dans cette étude, nous avons évalué trois unités fonctionnelles :

  1. Fabriquer un serveur IA
  2. Utiliser ce serveur pendant 1 an
  3. Utiliser n serveurs pendant 1 an.

Pour chacune de ces unités fonctionnelles, nous avons quantifié 16 impacts environnementaux et sanitaires à chacune des 4 étapes du cycle de vie : fabrication, distribution, utilisation et fin de vie.

Dans cet article nous synthétisons les résultats de l’évaluation des impacts environnementaux et sanitaires de l’intelligence artificielle à l’échelle mondiale en 2025 et 2030.

Nous avons considéré n serveurs IA utilisés à 67 % de leur capacité maximum pendant 365 jours, avec :
n2025 = 1 133 500 serveurs regroupant 9 068 000 équivalent GPU
n2030 = 7 625 000 serveurs regroupant 61 000 000 équivalent GPU

Enfin, nous estimons les impacts uniquement de la partie « backoffice« , c’est à dire les serveurs et autres équipements informatiques hébergés dans des centres informatiques (data center).

Ces impacts sont donc partiels car il manque ceux associés aux réseaux et aux terminaux des utilisateurs. Ces deux autres parties seront intégrées à la mise à jour de l’étude, dès que possible.

Résultats

Durée de vie courte et forte consommation électrique

Concernant les spécificités des équipements et infrastructures dédiés à l’IA qui ont un effet sur les impacts environnementaux et sanitaires, nous avons noté trois points saillants :

  • La durée de vie des serveurs IA est 3 à 5 fois plus courte que celle des serveurs traditionnels.
  • Leur consommation électrique est 4 fois plus importantes (à taille de serveur équivalente).
  • 80 % des centres informatiques existants ne sont pas capables d’héberger des serveurs IA. Il va donc falloir construire un très grand nombre de nouveaux centres informatiques.

Impacts : 69 % des impacts ne sont pas liés au climat

Quatre impacts environnementaux et sanitaires concentrent plus de 80 % de l’empreinte de l’IA :

  • Potentiel de réchauffement global : 31 %
  • Epuisement des ressources abiotiques (fossiles, métaux, minéraux) : 21,4 %
  • Emissions de particules fines : 18,5 %
  • Eutrophisation : 18,3 %

Dit autrement, 69 % des impacts environnementaux et sanitaires de l’IA ne sont pas liés au climat. Pour réduire l’empreinte de l’IA, il est donc crucial d’évaluer l’ensemble des impacts et pas seulement les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES).

La consommation électrique des GPU, principale source d’impacts

Lorsqu’on calcule le score unique environnemental de chaque composant constituant un serveur IA et l’infrastructure l’hébergeant, les microprocesseurs dédiés à l’IA – Graphical Processing Unit (GPU) notament – concentrent près de 80 % des impacts, suivi de loin par les autres composants tels que les CPU, la mémoire vive (RAM), etc.

La fabrication de la mémoire vive (RAM) concentre les impacts à cette étape du cycle de vie.

Mais lors de l’utilisation, c’est la consommation électrique des GPU qui génère le gros des impacts. Cette consommation électrique est telle, que les impacts associés à la production de l’électricité écrasent tous les autres composants et toutes les autres étapes du cycle de vie.

62 % du budget annuel soutenable d’un européen en 2030

En 2025, les impacts environnementaux de l’IA sont les suivants :

  • Réchauffement global : 41 millions de tonnes éq. CO2 ;
  • Epuisement des ressources : 376 tonnes éq. antimoine (SB) ;
  • Particules fines : 5 décès par jour ;
  • Eutrophisation : 19 123 tonnes éq. Phosphore (P)
IndicateurDescriptionPondération20252030Unité
ADPeEpuisement des ressources abiotiques (métaux et minéraux)9%3762 528tonnes éq. antimoine (SB)
ADPfEpuisement des ressources abiotiques fossiles13%5553 735millions GJ EP
EpFEutrophisation des milieux aquatiques (eau douce)17%19 123128 637t eq. phosphore (P)
GWPPotentiel de réchauffement global31%41277millions tonnes eq. CO2
PMParticules fines18%1 87012 579décès

L’IA représente jusqu’à 2 % des impacts du numérique et 10 % du budget annuel soutenable de l’Union Européenne.

En 2030, ces impacts auront été multipliés par 7 pour atteindre jusqu’à 21 % des impacts du numérique et 62 % du budget annuel soutenable de l’Union Européenne. Ce qui, par définition, est insoutenable.

Impacts environnementaux de l’IA en nombre de budgets annuels soutenables individuels

IndicateurDescription20252030
ADPeEpuisement des ressources abiotiques matière (métaux et minéraux)11 742 80278 993 261
ADPfEpuisement des ressources abiotiques fossiles17 136 573115 276 904
CTUeToxicité pour la biodiversité (éco-toxicité)9 190 61461 824 821
EpFEutrophisation des milieux aquatiques (eau douce)22 765 031153 139 271
GWPPotentiel de réchauffement global41 824 781281 353 292
PMParticules fines24 933 084167 723 660
WUUtilisation de l’eau douce – cycle de l’eau1 016 5106 838 012
Population de l’Union européenne449 000 000449 000 000

Des tensions majeures en perspectives

Dans les 5 ans à venir, cette croissance folle du recours à l’IA va se traduire par deux tensions majeures :

  1. Des tensions exacerbées pour accéder aux ressources (métaux et minéraux) et à l’électricité (l’IA se disputant l’accès à l’électricité avec l’industrie lourde).
  2. L’impossibilité, pour les pays développés, d’atteindre les engagements environnementaux. Ils devront choisir entre le climat et l’IA.

Trois recommandations

Pour tenter de concilier IA et environnement, nous préconisons trois actions clés :

  1. Créer un plan “sobriété IA” pour contenir l’offre et maîtriser la demande. Comme c’est actuellement l’offre qui crée les impacts, il est urgent d’encadrer les acteurs de l’IA et de sensibiliser les utilisateurs. Cela passe notamment par l’identification des IA “utiles” et dont l’impact net est positif et démontré. Cette étape permettrait de mettre en place des mécanismes incitatifs et dissuasifs, par exemple sur le principe bonus-malus. Techniquement, tout est prêt. On peut aussi rendre obligatoire l’écoconception des IA hébergées en France. Il ne manque que la volonté politique.
  2. Créer une filière d’excellence IA frugale . L’amélioration du bilan environnemental des IA “utiles” ne pourra se généraliser qu’avec la généralisation des pratiques d’écoconception. Il nous semble donc urgent de rentre obligatoire la formation à l’écoconception des IA en formation initiale (école d’ingé., etc.), par exemple en étendant la portée de l’article 3 de la loi REEN à l’intelligence artificielle.
  3. Héberger l’IA dans les pays dont l’électricité est la moins impactante. A court / moyen terme, c’est une solution efficace pour réduire les impacts. Mais ce n’est qu’un “quick-win” qui ne résout pas le problème de fond.

Méthodologie

Cette étude a été réalisée par des expert.e.s bénévoles et publiée par l’association Green IT, association à but non lucratif, reconnue d’intérêt générale, et volontairement non financée.

Cette étude s’appuie sur les principaux standards d’évaluation d’impacts environnementaux en vigueur dans le monde (ACV ISO 14040/44), en Europe (Product Environmental Footprint), et en France (RCP Services Numériques).

Cette étude a fait l’objet d’une revue critique interne. Nous avons également réalisé de nombreux contrôles de cohérence avec d’autres études publiques pour s’assurer de la pertinence des résultats.

Voir la fiche de l’étude et les ressources associées.

Source : GreenIT.fr

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je forme les futurs professionnels du domaine et conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable et le Club Green IT.

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