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5G: recentrons le débat!

Depuis plusieurs mois, le déploiement de la 5G cristallise les oppositions. Bien que cela ait mis sur le devant de la scène les sujets du numérique responsable et de la place du numérique dans notre société, les échanges passionnés et les contestations éloignent le grand public du cœur du sujet.

Nous vous proposons de recentrer le débat sur les véritables enjeux environnementaux du numérique au travers de la 5G avec un regard dépassionné et constructif.

La 5G, juste une nouvelle technologie

La 5G est la 5ème génération de téléphonie mobile. Elle a été conçue pour obtenir une large bande passante à très faible latence. En France, trois bandes de fréquences «5G» sont prévues:

  • La 700 Mhz: avec un débit insuffisant voire inférieur à celui de la 4G, elle a peu d’intérêt malgré une bonne couverture
  • La 3,6 GHz (3,4 – 3,8 GHz): identifié comme le «cœur de la 5G», elle offre un bon ratio couverture/débit
  • La 26GHz (24,25 – 27,5 GHz): nommée «la fibre sans fil», elle permettra des débits très importants mais avec une faible couverture

Par rapport à une antenne 4G, une antenne 5G diffusera le signal dans une seule direction pour un terminal et non en «arrosant» tout l’environnement (beamforming). Le signal délivré sera adapté à l’utilisateur (data slicing), il y aura moins l’effet de partage de bande passante.

Avec les antennes Massive MIMO (Multiple Input Multiple Output), les antennes 5G atteindront une capacité et des débits inaccessibles aujourd’hui en 4G.

Avec ses atouts en termes de débit et de temps de latence, la 5G est avant tout une évolution de la 4G. Il serait malavisé de dire si la 5G est en soi bonne ou pas pour l’environnement. Comme toute technologie numérique, c’est ce que nous voulons en faire et comment nous voulons l’utiliser qui est déterminant.

La 5G, une  innovation et non un progrès

Dans les débats pro contre anti 5G, se pose souvent le parallèle pour ou contre le progrès. Les plus fervents défenseurs de la 5G la placent comme un progrès technologique et social au même titre que l’électricité ou le train. Pour certains, sans la 5G il n’y aurait pas de voiture connectée, de télémédecine ou encore d’agriculture connectée, et s’opposer à son déploiement serait être contre le progrès.

Pourtant, à l’instar d’être une amélioration technologique du réseau mobile, la 5G est plus une innovation et n’est pas source de progrès en elle-même. En effet, les différents services et usages avancés comme des progrès, la télémédecine ou l’agriculture connectée, n’ont pas besoin de la 5G pour exister.

Il n’est pas impossible que la 5G puisse faciliter ces usages voire accélérer leur mise en place. Par contre, il est abusif de dire que sans la 5G ces services ne verront pas le jour. Il faut plutôt évaluer si la 5G permettra d’avoir des externalités négatives environnementales inférieures à d’autres technologies dès la conception de ces services. Pour répondre à cette problématique, il existe des standards reconnus au niveau international: l’Analyse de Cycle de Vie (ISO 14040/44) et l’Ecoconception (ISO 14006, ISO 14062).

Antenne 5G et énergie, un enjeu secondaire

Lorsque la 5G est vue sous le prisme de l’environnement, c’est souvent la question énergétique des antennes qui est mise en avant. En valeur relative, face à une antenne 4G, une antenne 5G est plus efficace grâce à un débit plus important et un plus grand nombre de terminaux connectés. Néanmoins, des questions demeurent sur le nombre d’antennes supplémentaires nécessaires, leur impact environnemental à la fabrication ou encore sur l’augmentation de la consommation de données, ce qui pourrait compenser ces gains.

En effet, nous manquons aujourd’hui de données et de projections pour statuer véritablement sur l’impact environnemental des antennes 5G. Les projections sont d’ailleurs très complexes à obtenir étant donnée la période particulière (crise sanitaire et économique) et les incertitudes sur le taux de pénétration de la 5G.

Bien que légitimes, ces interrogations ne doivent pas occulter que d’après notre étude “INUM” le réseau en France ne représente que 20% de l’énergie, 15% des ressources et 10% des GES du numérique en France. Une focalisation sur la consommation énergétique à l’usage des antennes 5G nous éloigne assurément des principaux enjeux environnementaux du numérique.

La 5G et les véritables enjeux des réseaux

Si l’énergie consommée à l’usage est loin d’être le principal impact environnemental des réseaux, des défis existent dans la rationalisation des infrastructures.
A ce jour, peu ou pas d’efforts sont réalisés pour mutualiser les différents réseaux. En France, nous nous retrouvons avec le réseau 4G en plus des réseaux 2G, 3G et fixes.

A cette problématique de duplication des réseaux, s’ajoute le risque de saturation qui implique la mise en place d’une nouvelle infrastructure. La saturation du réseau 4G estimée d’ici 2023 par les opérateurs téléphoniques est un des arguments avancées pour le déploiement de la 5G.

La question est de savoir si la 5G pourra répondre à ces défis. Concernant la mutualisation, cela dépend plus de choix politiques que techniques. Sur la saturation, elle doit être traitée sur les zones de tension et non globalement. Il est également permis de douter que la 5G réponde de manière pérenne à cet enjeu si nous n’écoconcevons toujours pas les services numériques. 

Un autre enjeu des réseaux est la fracture numérique. Avec les déploiements en cours de la 4G ou de la fibre, la 5G n’aborde pas réellement ce sujet. Ici aussi, l’éco-conception peut accélérer la réduction de cette fracture en reposant les services majeurs sur les réseaux déjà déployés.

La 5G et les terminaux numériques

Les ¾ des impacts environnementaux du numérique se situent lors de la fabrication des terminaux utilisateurs (smartphones, objets connectés, téléviseurs, etc…). L’extraction et le raffinage des métaux rares en sont les principales causes.
D’autre part, les besoins exponentiels en ces minerais et l’absence de véritable solution de recyclage pour extraire des minerais assez purs pour être réutilisés vont occasionner une criticité d’ici une à deux générations sur leur approvisionnement.

Il est donc primordial d’allonger la durée de vie de ces terminaux, de favoriser leur durabilité, leur réemploi, de s’assurer de leur réparabilité et d’éviter que des services trop consommateurs en ressources ne les rendent obsolètes. Limiter l’augmentation du nombre de terminaux est également un axe à ne pas négliger à la fois pour éviter une explosion des impacts environnementaux mais aussi pour préserver cette ressource critique et non renouvelable qu’est le numérique.

Même s’il ne faut pas mettre sur le dos du déploiement massif de la 5G tous ces effets négatifs, il est plus qu’envisageable que la 5G soit un frein à leur résolution. En effet, alors que la durée de vie des smartphones 4G semblait s’allonger, l’arrivée de la 5G risque d’inciter à l’achat d’un terminal neuf et de porter un coup sur la filière du réemploi.  Il est également plus que probable de par leur sophistication, que les smartphones 5G aient plus d’impact lors de leur phase de fabrication que leurs équivalents 4G, sans pour autant avoir une durée de vie et une réparabilité meilleures. A cela s’ajoute une consommation énergétique qui serait 20% plus importante.

Pour donner une idée de l’impact potentiel théorique d’un parc de smartphones qui serait renouvelé à neuf, avec 43,8 Millions de smartphones en France (CREDOC – ARCEP), cela représenterait des facteurs d’impact potentiels à la fabrication d’environ 1,4 Milliards Kg Eq. CO² et 21,9 Milliards de litres d’eau. Pour compléter, nous vous invitons aussi à lire l’analyse de Gauthier Roussilhe.

Pour finir, avec ou sans 5G le nombre d’objets connectés va probablement augmenter, néanmoins son déploiement jouera un rôle de catalyseur qui risque de faire exploser leur nombre. 

5G et numérique, prenons de la hauteur

A travers les sujets du partage et du transfert de la connaissance, de la continuité pédagogique ou encore de la santé, le numérique est un formidable outil pour aider notre monde à être plus résilient. Il est néanmoins urgent de prendre conscience que c’est une ressource critique et non renouvelable et qu’il nous faut le réconcilier avec les enjeux environnementaux tout en le préservant pour les générations futures. 

Une utilisation de la 5G qui impliquerait plus de consommation de ressources, plus de terminaux et d’objets connectés et indirectement un extractivisme exacerbé, s’inscrirait dans la continuité d’un numérique non durable. 

Un numérique responsable et soutenable doit favoriser le réemploi, la réparabilité et la réduction systématique des externalités négatives lors de la conception des services numériques (écoconception).

Les discussions sur les technologies du numérique comme la 5G doivent nous amener à mettre les vrais défis environnementaux et sociaux du numérique sur la table et ainsi à ouvrir le débat.

Thomas Lemaire