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La course aux matières premières bafoue les droits des populations locales

En décembre 2011, l’ONG Action contre l’impunité pour les droits humains (ACIDH) a publié avec le Centre de recherche sur les multinationales, SOMO, un rapport intitulé « Unheard Voices » ou « Les sans-voix » (accessible en anglais ici). Ce rapport révèle comment des communautés locales de la République Démocratique du Congo (RDC) voient leurs droits bafoués par les exploitations minières de cuivre et de cobalt, minéraux utilisés par l’industrie de l’électronique.

Le rapport fait partie de la campagne « makeITfair », un projet européen dénonçant les impacts sociaux et sanitaires de l’industrie informatique. Selon Esther de Haan, chercheuse pour SOMO et coordinatrice de la campagne européenne makeITfair, « on attend des entreprises du secteur de l’électronique qu’elles respectent les droits de l’Homme tout au long de leur chaîne d’approvisionnement et s’assurent que les métaux qu’elles utilisent dans leurs produits n’aient pas été extraits par des entreprises minières ne respectant pas les droits de l’Homme ou l’environnement ». L’an dernier, un premier pas avait déjà été fait dans ce sens avec le programme Conflict-Free Smelter (promotion d’une meilleure traçabilité des minerais pour éviter que les revenus de leur vente ne financent la guerre civile dans l’Est de la RDC), mais des efforts restent encore à faire alors que le secteur de l’électronique prend une part croissante dans la production minière globale.

Le secteur de l’électronique et des communications représente 6% de la production mondiale de cuivre et 27% de la production mondiale de cobalt

Le cuivre, exploité par les entreprises étudiées dans ce rapport, est le quatrième minerai le plus extrait au monde (après le charbon, le fer et la bauxite) [1] et sa production s’accroît d’environ 4% par an. Alors que 10 millions de tonnes étaient produites à la fin des années 90, la production a dépassé les 16 millions de tonnes en 2009. 961 milles tonnes ont été utilisés dans les seuls secteurs de l’électronique et de la communication, soit 6% de la production mondiale [2]. Les deux principales qualités de ce minerai sont sa grande conductivité et ses qualités calorifiques (capacité de dissiper la chaleur dégagée par les composants électroniques). Le cuivre est donc utilisé dans les lignes téléphoniques et autres réseaux de communication, mais aussi dans les puces électroniques (« copper chip »), les transformateurs, connecteurs et commutateurs.

Dans le cas du cobalt, la production mondiale s’élève à 76.050 tonnes dont 27% sont utilisés dans la fabrication des batteries (Nickel-Cadmium, Nickel-Metal Hybride et Lithium ion). Il est aussi présent dans les circuits intégrés, les résistors, les transformateurs et les condensateurs [3]. Face à une demande mondiale en cobalt croissante, ce minerai fait désormais partie de la liste des 14 matières premières jugées critiques pour l’Union Européenne dans le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) [4]. Ce n’est pas étonnant puisque la batterie est un des piliers des technologies propres et que l’informatique devient de plus en plus mobile. Le nombre d’abonnements à la téléphonie mobile a frôlé les 6 milliards en 2011 (soit un doublement depuis 2006) avec un taux de pénétration mondial de 87% et de 79% pour les pays en voie de développement [5]. Selon un rapport de Forrester Research, il y avait plus d’un milliard d’ordinateurs portables utilisés dans le monde en 2008 et ce chiffre devrait passer à 2 milliards dès 2015 du fait de leur popularité croissante dans les économies émergentes [6].

Mais plus que la rareté des matières premières, des contraintes liées aux infrastructures, d’un dollar faible et de la spéculation financière, c’est le poids croissant de la Chine dans le commerce international de marchandises depuis 2002 qui a entraîné une hausse de la production minière. La Chine représente désormais 40% de la consommation mondiale de métaux (47% du fer, 45% de l’acier, 41% du zinc, 39% du cuivre) [7].

Des populations locales déplacées et plongées dans la pauvreté

Street_side_0.jpgAlors que l’exploitation minière augmente, ses conséquences sur le terrain sont désastreuses. En 2007, un précédent rapport de makeITfair rédigé par SwedWatch en 2007 [8] révélait que plus de 50.000 enfants âgés de moins de 18 ans étaient employés dans l’industrie minière en RDC.
Avec ce nouveau rapport, l’objectif est de montrer les conséquences de l’exploitation minière du cobalt et du cuivre sur les populations locales. L’ONG ACIDH, basée à Lubumbashi au Katanga, a étudié cinq entreprises minières opérant dans cette province : Tenke Fungume mining (TFM), Rwashi mining, Boss mining, Chemaf, et Compagnie minière du Sud du Katanga (CMSK).

Les conclusions de cette enquête sont accablantes : les droits des communautés avoisinantes ont été bafoués dans les cinq cas car elles ont systématiquement été exclues des processus de décisions alors que ces dernières avaient une incidence directe sur leur mode de vie. Par conséquent, le consentement libre, préalable et éclairé (connu sous l’acronyme anglais FPIC), pourtant reconnu comme un principe clé du droit international et de la jurisprudence concernant les peuples autochtones, n’a pas été respecté [9].

Trois impacts négatifs identifiés par le rapport

« Les sans-voix » souligne le déséquilibre entre les entreprises minières et les communautés et met en avant trois catégories d’impacts négatifs des projets miniers sur les communautés locales :
• Un processus de réinstallation des populations locales défectueux : certaines communautés ont été déplacées alors que les indemnisations reçues étaient insuffisantes pour leur permettre d’acquérir un nouveau logement ou alors que les nouveaux logements n’avaient pas été construits. Dans le cas de l’entreprise, Tenke Fungurume Mining, plusieurs familles ont attendu près de deux ans dans des abris de fortune avant de pouvoir être relogées.
• Des indemnisations insuffisantes pour leurs terres agricoles : les cinq entreprises ont opté pour des indemnisations a minima (basées sur un prix par hectare et non sur la prise en compte de la valeur de la récolte en cours, des coûts de production et de déplacement). Ainsi plusieurs familles ont vu leurs terres agricoles confisquées et sont désormais dans l’impossibilité d’acquérir de nouvelles terres.
• La pollution environnementale des cours d’eau, de l’air et des terres agricoles : des eaux acides ont été déversées par deux entreprises dans des cours d’eau et des terres agricoles, polluant ainsi les écosystèmes, les récoltes et les sources d’eau douce utilisées par les populations locales. Une usine, propriété d’une autre entreprise, rejette des polluants dans l’air qui affectent les populations comme la faune.

Water_tank.jpgSelon Emmanuel Umpula Nkumba, directeur d’ACIDH, « les indemnisations ne devraient pas prendre en compte uniquement les coûts des terres et des maisons, mais inclure également les coûts de déplacement et le remboursement des revenus perdus. Une entreprise sur cinq a consulté les communautés, et aucune d’entre elles n’a vraiment cherché à informer les communautés de manière appropriée ou à obtenir leur accord alors que leurs terres, familles et communautés étaient concernées. » La politique adoptée par ces cinq entreprises a tout simplement pour effet de plonger des populations déjà précaires dans une plus grande pauvreté en les obligeant à se déplacer et à perdre leurs biens et sources de revenus.

Les recommandations du rapport

Le rapport s’achève sur des recommandations à l’attention :
• Du gouvernement de la RDC pour une révision du Code minier et sa mise en application sur le terrain,
• Des institutions financières internationales pour l’instauration de clauses financières qui imposeront aux entreprises minières de respecter les droits des communautés locales,
• Des acteurs du secteur industriel achetant du cuivre et du cobalt en provenance de la RDC pour qu’ils exigent une plus grande transparence à leurs fournisseurs,
• Des entreprises minières pour un plus grand respect de la Constitution de la RDC, des droits de l’Homme fondamentaux qui y sont reconnus, et de la législation couvrant les questions minières et de travail,
• Des représentants de la société civile pour qu’ils fassent pression sur leurs gouvernements pour assurer le respect des lois qui régissent le secteur minier et promouvoir le respect des droits des communautés locales par les industries extractives et les autorités politiques.

Ces recommandations sont essentielles alors que des situations similaires se multiplient dans les pays en voie de développement. Les populations autochtones et communautés locales vont devoir faire face à des pressions toujours plus fortes pour exercer leurs droits ou voir leurs droits reconnus dans un contexte international où l’accaparement des terres s’accroît de façon spectaculaire pour laisser la place à la production agricole, l’industrie minière, le tourisme et la reconversion forestière [10]. En 2011, Oxfam et la Coalition internationale pour l’accès à la terre ont estimé que plus de 200 millions d’hectares avaient été achetés ou loués par le secteur agro-industriel depuis 2001, deux tiers de ces terres se trouvent en Afrique [11]. Le risque d’accroissement des inégalités pour ces populations est réel et il est plus que temps qu’il y ait une prise de conscience sur ces questions.

[1] Philippe Sibaud, Opening Pandora’s box : The New Wave of Land Grabbing by the Extractive Industries and The Devasting Impact on Earth, 2012, 56 p. Accessible ici: http://www.gaiafoundation.org/sites/default/files/Pandorasboxlowres.pdf.

[2] International Copper Study Group, The World Copper Factbook 2010
p.46 http://www.icsg.org/index.php?option=com_docman&task=doc_download&gid=278&Itemid=61. 768 milles tonnes de cuivre ont été utilisés par le seul secteur électronique, auquel s’ajoutent 193 milles pour les infrastructures liées à la communication.

[3] The Cobalt Development Institute, http://www.thecdi.com/.

[4] EcoInfo, Des matériaux critiques pour l’Union Européenne, http://www.eco-info.org/spip.php?article197.

[5] Union Internationale des Télécommunications, The World in 2011 : ICT Facts and Figures, http://www.itu.int/ITU-D/ict/facts/2011/material/ICTFactsFigures2011.pdf.

[6] http://www.worldometers.info/computers/.

[7] Voir note n°1.

[8] Ce rapport publié en novembre 2007 s’intitulait Powering the Mobile World: Cobalt production for batteries in the DR Congo and Zambia. Il est accessible ici http://makeitfair.org/en/the-facts/reports/Powering-the-Mobile-World-Swedwatch-November-2007.pdf/at_download/file (en anglais).

[9] Il s’agit du principe selon lequel une communauté a le droit de donner ou de refuser de donner son consentement à des projets proposés susceptibles d’avoir une incidence sur les terres qu’elle possède, occupe ou utilise traditionnellement. C’est maintenant un principe clé du droit international et de la jurisprudence concernant les peuples autochtones.

[10] Coalition internationale pour l’accès à la terre, Les droits fonciers et la ruée sur les terres : conclusion du projet de recherche sur les pressions commerciales sur les terres dans le monde, 2012. Résumé en français accessible ici, rapport complet en anglais ici

[11] L’Initiative des Droits et Ressources, Tournant décisif : Quel futur pour les populations et les ressources forestières au sein du nouvel ordre mondial ? , 2012, p.18-19. Accessible ici : http://www.rightsandresources.org/publication_details.php?publicationID=4724.

Sources additionnelles : http://somo.nl/publications-en/Publication_3727/.

Claire Biason