Catégorie : Recyclage

Etats Unis : vers une interdiction de l’exportation des déchets électroniques vers les pays en voie de développement

Article initialement publié sur http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/64910.htm par moi même et Gabriel Marty, ambassade de France à Washington DC.
Article reproduit avec autorisation.

La Chambre des Représentants a soumis le 29 septembre dernier une proposition de loi visant à interdire l’exportation de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) vers les pays en voie de développement. Le Responsible Electronic Recycling Act [1], soutenu par les représentants Gene Green (démocrate, Texas), Mike Thompson (démocrate, Californie) et John Carter (républicain, Texas), a pour but d’empêcher l’envoi et la mise en décharge de ces déchets toxiques dans des pays incapables de les traiter convenablement, ce qui entraîne de graves dégâts environnementaux.

Une majorité des DEEE collectés envoyés vers les pays en voie de développement

En 2008, les Américains ont produit 3,16 millions de tonnes de DEEE [2], soit un peu plus de 98kgs par habitant. A titre de comparaison, les Français en jettent entre 20 et 28kgs [3], soit 3 à 4 fois moins. Bien que les DEEE représentent une fraction encore modeste des déchets produits aux Etats-Unis (1,3% du poids total des déchets en 2008 contre 0,8% en 2000), il s’agit de la catégorie qui connaît la croissance la plus forte. Entre 2000 et 2008, la production de DEEE a en effet augmenté de 66%.

Seuls 13,6% des DEEE sont collectés, soit environ 430.000 tonnes en 2008. Ce taux de collecte avoisine celui de la France (entre 13,5% [4] et 20% [5]) alors même qu’aucune loi fédérale sur les DEEE n’a été mise en place (contrairement à la France, où la directive DEEE est en application depuis 2006). Selon les estimations de l’ONG "Basel Action Network", 70 à 80% des DEEE collectés sur le territoire américain seraient exportés vers des pays en voie de développement sous couvert de "recyclage", soit 300.000 à 350.000 tonnes par an. Cette pratique, bannie par la convention de Bâle [6], est pourtant parfaitement légale aux Etats-Unis puisqu’ils sont le seul pays de l’OCDE à ne pas l’avoir encore ratifiée.

Une législation balbutiante et hétérogène

En 2007, l’Environment Protection Agency (EPA) a modifié le Resource Conservation and Recovery Act (principale loi fédérale sur la gestion des déchets) pour encadrer l’export d’écrans cathodiques (CRT) [7]. Depuis lors, les entreprises souhaitant exporter des écrans CRT en fin de vie doivent impérativement obtenir une autorisation du pays destinataire et notifier l’EPA. Les autres DEEE, y compris les "circuits électroniques contenant une faible quantité de mercure" (petites batteries embarquées, piles boutons), ne sont pas classés comme déchets dangereux et sont toujours considérés comme des déchets ménagers ("solid waste") selon la législation américaine.

La Chambre des Représentants a adopté en avril 2009 une proposition de loi intitulée Electronic Waste Research and Development Act, qui doit notamment permettre à l’EPA de subventionner la recherche et le développement de solutions de recyclage, mais également de commander une étude à la National Academy of Sciences (NAS) sur l’état actuel du secteur et les opportunités existantes. Cependant, il n’existe actuellement aucune loi au niveau fédéral qui encadre la collecte et le traitement des DEEE.

En revanche, 23 états sur 50 [8] ont adopté une loi sur la gestion des déchets électroniques, couvrant 61% de la population américaine. A l’instar de la directive européenne DEEE, la quasi-totalité de ces lois se fondent sur le principe de la Responsabilité Elargie du Producteur (REP [9]), à l’exception de celle adoptée par l’état de Californie, qui fait financer le système de collecte et recyclage par le consommateur.

[illustration] – Carte des législations sur les DEEE aux Etats Unis – Source: ElectronicsTakeBack.com

Malgré ce principe commun, ces lois sont très hétérogènes [10] et divergent sur différents points comme les types de DEEE concernés, la présence ou non de restrictions sur les substances dangereuses et les objectifs fixés. Par exemple, les télévisions ne sont pas concernées dans plusieurs états, tandis qu’en Californie, ce sont les processeurs qui sont spécifiquement exclus de la loi, peut-être en raison du poids économique que représente l’industrie des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans cet état, avec la Silicon Valley. Quant aux objectifs de collecte et de recyclage, plus de la moitié des états qui ont légiféré sur la question des DEEE n’en n’ont pas fixés.

Le Responsible Electronic Recycling Act actuellement à l’étude prévoit l’ajout d’une nouvelle section au Resources Conservation and Recovery Act de 1976 [11], interdisant spécifiquement l’exportation de DEEE vers les pays en voie de développement. L’adoption de cette loi conduirait à une application de fait de la convention de Bâle, mais limitée aux DEEE.

Le soutien de grandes entreprises de l’industrie des TIC

Ces dernières années, les tentatives successives d’élaborer une loi réglementant la gestion des DEEE ont échoué à cause de l’opposition des représentants de l’industrie. En particulier, les fabricants de télévisions ont toujours été farouchement opposés à toute introduction du principe de la REP dans une proposition de loi. Néanmoins, le Responsible Electronic Recycling Act a reçu le soutien officiel de plusieurs grandes entreprises du secteur des TIC, telles que Dell, Apple et Samsung.

Certaines de ces entreprises s’étaient déjà investies dans cette problématique. Dès 2008, Dell avait déclaré vouloir devenir la société la plus "verte" du secteur des technologies [12] et, en 2009, par sa politique d’entreprise, Dell s’est interdit d’exporter des déchets électroniques vers les pays en voie de développement [13], au même titre que Hewlett Packard. Cependant, c’est la première fois que des entreprises du secteur soutiennent publiquement une loi sur les DEEE. Ce phénomène est d’autant plus intéressant étant donné l’apathie des consommateurs sur le sujet. Les ONG, par contre, sont très impliquées dans des campagnes de sensibilisation à destination de l’opinion et des décisionnaires, ainsi que dans des campagnes de lobbying. Par exemple, le "Guide pour une high-tech responsable" [14] de Greenpeace classe tous les 3 mois les leaders du secteur des TIC en fonction de leurs engagements environnementaux et bénéficie d’un excellent relais parmi les médias spécialisés. Un tel traitement médiatique a certainement incité certains acteurs de l’industrie à vouloir se démarquer en adoptant une démarche de bonne conduite et en soutenant l’adoption d’une réglementation plus stricte. Se faisant, elles espèrent en retirer un avantage compétitif et une amélioration de l’image de marque.

Relocaliser le recyclage, une approche "gagnant-gagnant"

A l’heure actuelle, les "recycleurs" ne font le plus souvent qu’exporter les DEEE vers des pays comme la Chine, l’Inde ou le Nigeria. Cela leur permet de profiter d’un coût de recyclage nettement plus compétitif qu’en Occident. mais au prix d’une pollution dramatique de l’environnement et de la mise en danger des habitants. Une importante littérature existe sur le sujet, dont une étude européenne [15] [16] parue récemment qui détaille les impacts du recyclage informel des déchets électroniques en Chine et en Inde. On y apprend notamment qu’aux abords de Guiyu, une ville chinoise qui concentre d’importantes activités de recyclage de DEEE, l’eau n’est plus potable à moins de 30km de la ville, la concentration de plomb dans l’air est 3 à 4 fois plus importante qu’à Tokyo et 80% des enfants souffrent de maladies respiratoires.

[illustration] – Schématisation des emissisons de substances dangereuses, et de leur voies de propagation, résultant du recyclage des DEEE -Source: "A review of the environmental fate and effects of hazardous substances released from electrical and electronic equipments during recycling" : Examples from China and India, Sepulveda et al., 2010

L’une des conséquences directes de l’application du Responsible Electronic Recycling Act serait de protéger l’environnement et la santé des populations de pays tels que la Chine, mais aussi l’obligation de relocaliser l’activité de recyclage des DEEE sur le territoire américain. "Il s’agit d’une proposition de loi pour [créer] des emplois verts" affirme le représentant Green, sans avancer de chiffre. "Il y a des petits recycleurs locaux qui traitent ces matériaux, mais ils ont du mal à survivre [face aux concurrents étrangers]".

Selon l’ILSR (Institute for Local Self Reliance) [17], pour 10.000 tonnes de DEEE, le recyclage et la production de matière première secondaire permettrait de créer 10 à 25 emplois contre seulement 1 pour la mise en décharge et l’incinération de ces déchets. Pour la même quantité de DEEE, la réutilisation des composants et d’appareils entiers (reconditionnement) permettrait quant à elle de créer 296 emplois. Si tous les DEEE actuellement exportés chaque année étaient traités sur le territoire américain, cela conduirait donc à la création d’environ 300 à 750 emplois. Par contre, en cas d’augmentation significative du taux de collecte, de reconditionnement et de recyclage des DEEE, les retombées pourrait se chiffrer en dizaines de milliers d’emplois.

Par ailleurs, il serait intéressant pour les Etats-Unis, au regard des tensions actuelles au sujet de leur approvisionnement en terres rares [18], de reconsidérer les DEEE comme une "mine" de métaux rares et précieux. Le Japon, première victime de l’embargo chinois sur les terres rares, s’y intéresse de très près pour pallier les baisses d’exportation de la Chine [19]. Un rapport de l’Union européenne a identifié 41 matières premières indispensables aux nouvelles technologies, parmi lesquelles 14 ont été jugées particulièrement critiques pour l’industrie européenne [20] [21]. Ces matières se trouvant pour la plupart dans des pays en voie de développement, une telle analyse semble aussi pertinente pour les Etats-Unis.

[illustration] – Classement des matières premières indispensables aux TIC selon les risques d’approvisionnement et l’importance économique – Source : Union Européenne

[illustration] – Répartition des matières premières critique aux TIC dans le monde – Source: Union Européenne

Sur la question de la gestion des DEEE, les Etats-Unis sont en retard par rapport à l’Union Européenne, qui s’est dotée d’un ensemble législatif complet : directives DEEE [22] (collecte et recyclage des déchets électroniques), RoHS [23] (restriction de l’utilisation des substances dangereuses), EuP [24] (écoconception). La proposition de loi, qui doit encore être adoptée par les deux chambres du Congrès, bannira les exportations de DEEE et permettra aux Etats-Unis de se mettre en conformité avec les autres pays de l’OCDE, mais ce n’est qu’un premier pas. Pour que cette interdiction soit réellement efficace et permette de s’attaquer au problème des DEEE, il est indispensable que les Etats-Unis se dotent d’une loi fédérale encadrant leur gestion, en établissant un système de collecte et de recyclage avec un financement clairement défini et un objectif de réduction des déchets. Une telle loi permettrait enfin d’uniformiser les lois déjà existantes et de donner une vraie visibilité au système.

———————————————————————————————

Pour en savoir plus :

– http://www.govtrack.us/congress/bill.xpd?bill=h111-6252
– [6] Convention de Bâle – Wikipedia – http://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_de_B%C3%A2le
Présentation de la Convention de Bâle (EN) : http://www.basel.int/convention/basics.html
– [9] Responsabilité Elargie du Producteur – Wikipedia – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/8UrqK
– [11] Resources Conservation and Recovery Act – EPA – http://www.epa.gov/lawsregs/laws/rcra.html
– [22] Legislation européenne sur les déchets électroniques – site de l’union europénne – http://ec.europa.eu/environment/waste/weee/legis_en.htm
– [23] Directive RoHS – Wikipedia – http://fr.wikipedia.org/wiki/Directive_RoHS
– [24] Directive EuP – site de l’union européenne – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/8DTWB
– Site de l’ONG ElectronicsRecycling : http://www.electronicsrecycling.org/Public/default.aspx
– Outil "Where the e-Waste end up" – GreenPeace – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/UGGtB
– Site du programme de certification des entreprises de recyclage de déchets électroniques, e-Stewards, Basel Action Network (BAN) : http://e-stewards.org/the-e-waste-crisis/
– Hagelüken, C. and C.E.M. Meskers. "Mining our computers- opportunities and challenges to recover scarce and valuable metals from End-of-Life electronic devices" – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/4I6B1
– Brève BE du 06/11/2009 – "Le congrès s’intéresse aux déchets électroniques" – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/61137.htm)

Sources :

– [2] Municipal Solid Waste Generation, Recycling, and Disposal in the United States, detailed tables and figures for 2008, table 12 – EPA – http://www.epa.gov/epawaste/nonhaz/municipal/pubs/msw2008data.pdf
– [3] DEEE, un point complet – GreenIT.fr – juillet 2010 – http://www.greenit.fr/article/materiel/deee-un-point-complet-2879
– [4] GreenIT.fr – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/PUGaK
– [5] Groupe de travail CNRS EcoInfo – http://www.ecoinfo.cnrs.fr/spip.php?article197
– Bilan de la filière DEEE française pour la période 2006-2009 et les nouveaux défis fixés pour 2010-2014
http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/DP_-_DEEE.pdf
– [7] "Final Rules on Cathode Ray Tubes and Discarded Mercury-Containing Equipment" – EPA – http://www.epa.gov/osw/hazard/recycling/electron/#crts
– [8] Cartographie des législation sur les déchets électroniques par Etat – ONG ElectronicsTakeBack – http://www.electronicstakeback.com/legislation/state_legislation.htm
– [10] Tableau comparatif des legislations sur les déchets électroniques aux Etats Unis – ONG ElectronicsTakeBack – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/tAeXx
– [12] Dell veut devenir la société la plus verte du secteur des technologies – GreenIT.fr – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/S3E1k
– [13] Dell contre l’exportation des déchets électroniques – GreenIT.fr – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/5WEY8
– [14] Guide pour une High Tech responsable – GreenPeace – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/e7RlA
– [15] A review of the environmental fate and effects of hazardous substances released from electrical and electronic equipments during recycling" : Examples from China and India, Sepulveda et al., 2010 – http://ewasteguide.info/files/Sepulveda_2010_EIAR_0_0.pdf
– [16] Synthèse de l’étude "A review of the environmental fate and effects of hazardous substances released from electrical and electronic equipments during recycling" en français – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/o6bsp
– [17] Institute for Local Self Reliance – http://www.ilsr.org/recycling/recyclingmeansbusiness.html
– [18] BE "Terres rares et humanum est : les Etats Unis inquiets de leur dépendance envers la Chine" – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/64638.htm
– [19] Clean Tech: Japan mines old electronics for rare earth metals –
http://www.eenews.net/Greenwire/rss/2010/10/05/15
– [20] Memo 10/163 "Report Lists 14 critical mineral raw material", juin 2010 – Union Européenne – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/9pcyC
– [21] Synthèse en français du rapport de l’union européenne sur les matérières premières de l’industrie des Technologies de l’Information – Groupe de travail du CNRS EcoInfo – http://www.ecoinfo.cnrs.fr/spip.php?article197
– "E-Waste Facts and Figures" – ElectronicsTakeBack – http://www.computertakeback.com/Tools/Facts_and_Figures.pdf
– Rapport du "United States Government Accountability Office", Electronic Waste – Considerations for Promoting Environmentally Sound Reuse and Recycling – http://www.gao.gov/new.items/d10626.pdf
– Article E&E Hazardous Waste: Major electronics companies back e-waste bill: http://www.eenews.net/EEDaily/rss/2010/10/01/4

FLohier

Avec une Licence en poche et après plusieurs expériences professionnelles dans le domaine technique, j’ai obtenu un Master 2 Management et Technologies de l’Information à l’IAE d’Aix en Provence. Je suis actuellement attaché adjoint pour la Science et les Technologies de l’Information et de la Communication (STIC) à l’Ambassade de France à Washington DC. Par ailleurs, je suis depuis toujours un fervent pratiquant de cyclisme, sport qui sensibilise à la consommation d’énergie et à l’environnement. Très curieux de nature et avide d’informations, j’essaye de vous faire partager ici mes réflexions et ce qui ressort de ma veille technologique surle Green IT.

Site web