Catégorie : Normes

GES : la Commission Européenne à la solde des industriels ?

Les différentes méthodologies d’évaluation des émissions de gaz à effet (GES) sont elles compatibles entre elles ? Et aboutissent-elles aux mêmes résultats concernant les systèmes d’information ? Oui, répond la Commission Européenne qui a demandé à 27 fabricants, opérateurs et éditeurs* de réaliser des tests grandeur nature.

Baptisée ICT Footprint, cette initiative vise, dans un premier temps, à comparer 10 méthodologies aussi diverses que le Bilan Carbone, le GHG Protocol, celles de l’ETSI (Institut européen des normes de télécommunications) et de l’UIT (Union internationale des télécommunications), l’ISO 14064, etc. Dans un second temps, l’initiative ICT Footprint évaluera l’empreinte GES globale des technologies de l’information et de la communication (TIC) en Europe.

Mesurer l’empreinte des TIC pour la réduire
« Une mesure uniformisée de l’empreinte écologique des TIC permettrait à tous les européens de faire des choix plus judicieux en fonction de critères écologiques » explique Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission Européenne, chargée de la stratégie numérique, dans un communiqué. La Commission Européenne estime que les équipements high-tech (équipements électriques et électroniques de catégories 3 et 4) représentent environ 10 % de la consommation électrique de l’Union Européenne et 4 % des émissions de gaz à effet de serre. En France, ces mêmes matériels – qui comprennent les équipements informatiques, télécoms et audiovisuels – représentaient 13,5 % de la facture électrique française en 2009.

Le périmètre de cette première phase du projet porte sur toutes les étapes du cycle de vie, de la fabrication à la fin de vie en passant par l’utilisation. Après 18 tests comparatifs menés grandeur nature, l’étude estime que les méthodologies sont compatibles entre elles et aboutissent grosso modo aux mêmes évaluations.

Une évaluation biaisée et trop partielle
Ce résultat est étonnant car les testeurs n’ont pas pris en compte le Guide sectoriel TNIC de l’Ademe (créé spécialement pour évaluer l’empreinte GES des TIC) mais la méthode Bilan Carbone standard qui ne permet pas d’effectuer une évaluation digne de ce nom. Par ailleurs, certaines méthodologies, comme le ICT Guidance du GHG Protocol, ne sont pas au point et ne peuvent pas aboutir aux mêmes résultats que la méthode Bilan Carbone. Le GHG Protocol ICT Guidance propose par exemple d’évaluer le scope 3 (émissions liées à la fabrication) à partir du scope 2 (consommation électrique des équipements), ce qui est une aberration.

Encore une fois, le lobby des fabricants a réussi à imposer sa vision et ses méthodologies à la Commission Européenne… qui est passée à côté des sujets essentiels. Certes les émissions de gaz à effet de serre doivent être prises en compte. Mais toutes les analyses de cycle de vie (ACV) multicritères indépendantes montrent que la toxicité (santé des êtres humains) et l’éco-toxicité (pollutions et dégradation des écosystèmes) sont des dimensions aussi importantes, sinon plus, à prendre en compte. Sans oublier l’épuisement des ressources non renouvelables. La guerre économique que se livre la Chine avec le reste du monde autour des terres rares nous le rappelle tous les jours. Sans oublier les conflits armés liés à l’eau douce et aux énergies carbonées.

La démarche d’uniformisation de la Commission Européenne est essentielle. Mais il est dommage – et plutôt surprenant – que les plus hauts pouvoirs européens s’appuient uniquement sur l’avis des industriels* sans consulter les experts indépendants du domaine : Ademe, EcoInfo (CNRS), Alliance Green IT, ONG telles que les Amis de la Terre et le WWF, etc. en France par exemple. En conclusion, les estimations qui seront publiées par la Commission Européenne devront être prises avec des pincettes car elles seront (très) inexactes et trop partielles pour avoir un intérêt.

* Alcatel-Lucent, AMD, AUO, BT, Cisco, Dassault Systèmes, Dell, EECA-ESIA, Ericsson, GSMA, Hitachi, HP, Huawei, Intel, Lenovo, NEC, Nokia, Nokia Siemens Networks, Orange, Sagemcom, SAP, Telecom Italia, Telefónica, TeliaSonera et 3 sociétés anonymes.

Source : http://www.ict-footprint.com/ et https://ec.europa.eu/digital-agenda/en/news/report-pilot-testing-methodologies-energy-consumption-and-carbon-footprint-ict-sector

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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