Catégorie : Bonnes Pratiques

L’Europe bientôt débarrassée des minerais du conflit ?

[ndlr : Cet article a été écrit par Zobel Behalal, chargé de plaidoyer paix et conflit au CCFD-Terre Solidaire. Il nous explique les ravages de ce qu’il est convenu d’appeler les « minerais de sang » et comment l’Union Européenne pourrait répondre à cet enjeu.]

Depuis quelques années, la majorité des Etats reconnaissent que l’exploitation et l’exportation des ressources naturelles en général, et minérales en particulier, exacerbent les conflits armés. C’est par exemple l’une des conclusions du débat organisé le 19 juin dernier à New York par la présidence britannique du Conseil de sécurité de l’ONU. A cette occasion, l’ambassadeur français a déclaré « (…) les guerres civiles au Libéria, en Angola ou en RDC ont en commun d’avoir comme enjeu central les ressources telles que les diamants, l’or, les minéraux ou le pétrole. Dans d’autres cas, l’exploitation des ressources naturelles – ou encore de la faune sauvage – sert à alimenter les conflits, via l’achat d’armes et le paiement de groupes armés, par exemple dans les Kivus ».

Quelques exemples
A l’Est de la RDC justement, les minerais d’étain, le tungstène, l’or, etc. sont au cœur d’un conflit qui a déjà fait des millions de morts en un peu plus de 15 ans. Les belligérants – troupes gouvernementales et nombreux groupes rebelles – sont présents sur les sites miniers et cherchent, aux côtés des « creuseurs » civils, le précieux sésame. Grâce au tollé médiatique au niveau international, l’implication directe des belligérants se fait plus discrète. Des hommes en armes contrôlent maintenant la filière via des intermédiaires civils qui leur reversent l’essentiel des bénéfices. En échange d’une protection toute relative, les belligérants imposent aux exploitants un système de taxation illégale.

En Colombie aussi, où le conflit a déjà fait plus de 5 millions de déplacés, les groupes armés s’enrichissent à travers le contrôle des mines d’or, de tantale et de wolframite. L’Asie – et notamment la Birmanie vis-à-vis de laquelle l’UE vient de lever les sanctions économiques – n’échappe pas à cette réalité. Dans ce pays, l’industrie minière a été contrôlée pendant plusieurs années par le pouvoir militaire. Aujourd’hui encore, dans plusieurs Etats, la production des minerais d’étain, du tungstène et de l’or contribue à l’enrichissement des personnes liées à l’armée ou aux groupes rebelles.

Une consultation publique pour mettre fin à ce scandale
Ces phénomènes sont connus depuis plusieurs années, mais ils demeurent – à cause du laxisme des pays voisins, dont certains dirigeants entretiennent ce commerce juteux pour eux – une source de souffrances pour les populations. Le problème perdure aussi en raison de la faiblesse du socle législatif international : les ressources exploitées trouvent donc un débouché international et se retrouvent dans de nombreux objets de notre quotidien (portables, automobiles…).

C’est dans ce contexte, et en réponse aux nombreuses interpellations de la société civile, que la Commission européenne a lancé une consultation publique, à laquelle a participé le CCFD-Terre Solidaire, pour une initiative de l’UE concernant les minerais provenant des zones de conflit http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/april/tradoc_150845.pdf

Alors même que l’UE abrite des entreprises qui utilisent les minerais ou investissent dans la filière, rien dans la législation européenne n’oblige les acteurs économiques à éviter que les minerais n’entrent dans leurs chaînes d’approvisionnement. L’enjeu pour le CCFD-Terre Solidaire et ses alliés est l’adoption par l’UE d’un règlement obligeant les acteurs économiques à exercer un devoir de diligence lorsque les ressources naturelles proviennent de zones en conflit.

Ce règlement permettrait d’éviter que les acteurs économiques ne contribuent à travers leurs activités au financement des conflits, à l’instabilité ou à la de graves violations des droits humains. Le règlement doit être contraignant et son champ d’application doit être large (géographique, type de ressources, toute la chaîne d’approvisionnement) et fondé sur l’évaluation du risque. L’action de l’UE doit s’accompagner de mesures globales vis-à-vis des pays d’où proviennent les minerais : renforcement de la gouvernance, réforme du secteur minier et sécuritaire et promotion de la transparence. Il est grand temps que l’UE se réveille pour ne pas se rendre plus longtemps complice des graves violations des droits humains qu’engendre un tel commerce.

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source : CCFD-Terre Solidaire

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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