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La low-tech : un outil de résilience pour l’humanité ?

Dans un monde fini tel que le nôtre, comment peut on encore croire que l’univers numérique va continuer son expansion dans sa forme et à son rythme actuels ? Les ressources pour fabriquer nos doudous numériques commencent déjà à manquer.

Dit autrement, le numérique, tel qu’il existe aujourd’hui, est en voie d’extinction. Et il accélère notre perte.

Accepter l’effondrement pour mieux rebondir ?

Il y a quelques années, nous pouvions encore espérer atténuer les crises environnementales et leurs conséquences économiques et sociales. Mais le constat s’impose : nous n’avons jamais émis autant de gaz à effet de serre que depuis que nous avons créé le protocole de Kyoto et les COP. La biodiversité s’écroule à une vitesse vertigineuse et, au rythme actuel, les stocks de ressources abiotiques seront presque tous épuisés d’ici moins d’une génération.

Qu’on l’accepte ou pas, chaque nouvelle journée égraine les signes objectifs de l’effondrement tant annoncé.

Bien que prévu depuis de longues années, cet effondrement est encore difficile à percevoir pour chaque être humain, notamment dans les villes, nouvel eldorado des smart solutions, car l’humanité a mis en œuvre de nombreux mécanismes pour le masquer. Par exemple, pour remplir le caddy de la ménagère à un tarif acceptable, nous avons lessivé les terres arables à grands coups d’intrants chimiques. Et pour donner l’illusion d’un pouvoir d’achat, nous avons désindexé l’argent papier de l’étalon or pour pouvoir inventer le crédit à la consommation et l’argent dette.

Malheureusement, l’effet de ces solutions – très efficaces à court terme, mais inopérantes à long terme – touche à sa fin. Les grandes idéologies associées à la révolution industrielle rendaient abstraite notre relation intime et profonde à la terre. Depuis la chute du mur de Berlin, l’humanité se réveille progressivement avec une sacrée gueule de bois et constate les dégâts de la fête passée.

Des enjeux vitaux

Dans un avenir de moins en moins lointain – et malheureusement de plus en plus probable – l’enjeu ne sera probablement pas de disposer d’un écran plat toujours plus grand dans son salon, ou d’acquérir le dernier thermostat connecté à la mode.

Les enjeux seront autrement plus vitaux : sauvegarder nos cultures millénaires, diffuser le plus largement possible des connaissances critiques, échanger des informations vitales – santé, agriculture, météo, etc. – et synchroniser nos actions, afin de permettre à l’humanité de passer ce cap difficile.

Dans ce contexte de crise majeure, les communautés du monde entier et de tous les horizons finalisent en ce moment, souvent de façon inconsciente, l’articulation de leurs outils et de leurs pensées.

Low-tech, décroissance, communs, open source, bienveillance, éthique, accessibilité, écoconception, économie collaborative et circulaire, zéro déchet, lutte contre l’obsolescence programmée, etc. : tous les mouvements et toutes les initiatives convergent pour proposer un avenir alternatif enviable, créatif et plaisant.

Low-tech ne signifie pas régression

Dans le domaine du numérique, il devient de plus en plus évident que seule la low-tech, dans sa forme la plus créative et la plus ouverte, permet d’envisager un avenir numérique souhaitable pour nos enfants.

En technicolor ou en noir et blanc, en morse ou en JSON, peu importe la techno tant que nous sommes capables de stocker et diffuser des informations vitales pour la survie de notre espèce. Exit le superflu, le gras informationnel et numérique, les fake news, etc.

A l’échelle de GreenIT.fr, nous expérimentons cette alternative depuis plusieurs années sur des projets pilotes à l’échelle de startups et de grandes entreprises privées et publiques. Il n’y a aucune difficulté technique à remplacer des sites web entiers par de simples e-mails ou SMS et des écrans 4K par ceux de smartphones vieux de 5 ans.

Après tout, il y a 50 ans, nous sommes bien allés sur la Lune avec un simple e-mail [1] !

Si la faisabilité technique ne suffisait pas, rappelons que la low-tech se traduit aussi par une meilleure expérience pour les utilisateurs, un coût environnemental très réduit, une augmentation significative de la marge de l’entreprise via la réduction de la dette applicative, et moins d’exclusion tant en terme d’accessibilité que de fracture numérique, donc… plus de clients potentiels. Séduisant, non ?

Pour une renaissance numérique

Il est urgent d’ouvrir les yeux sur la situation de l’humanité et sur nos mésusages du numérique pour le réinventer, dans la joie et la bienveillance, avec toute la créativité dont homo sapiens est capable.

Bien que cet enjeu soit planétaire, en France, on réfléchit à ces questions depuis pas mal de temps  et avec une profondeur et une vision systémique statistiquement hors du commun.

Nous sommes à un moment historique : face à l’effondrement, toutes les énergies convergent pour préparer la renaissance. Un mouvement qui doit nous amener à considérer la low-tech comme un outil au service de la résilience de l’humanité et nous pousser à construire ensemble un avenir numérique enviable pour nos enfants !

[1] l’ordinateur de bord de la mission Apollo avait une capacité de stockage de 70 Ko et une mémoire vive de 4 Ko. A chaque fois que nous envoyons un e-mail, cela nécessite plus de puissance que l’ordinateur de la mission Apollo qui nous a permis d’aller sur la Lune !

Frédéric Bordage

Expert en green IT, sobriété numérique, numérique responsable, écoconception et slow.tech, j'ai créé le collectif Green IT en 2004. Je conseille des organisations privées et publiques, et anime GreenIT.fr, le Collectif Conception Numérique Responsable (@CNumR) et le Club Green IT.

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